Anselme, Mascarille
Anselme
Par mon chef, c’est un siècle étrange que le nôtre !
J’en suis confus : jamais tant d’amour pour le bien,
Et jamais tant de peine à retirer le sien.
Les dettes aujourd’hui, quelque soin qu’on emploie,
Sont comme les enfants que l’on conçoit en joie,
Et dont avecque peine on fait l’accouchement.
L’argent dans une bourse entre agréablement ;
Mais le terme venu que nous devons le rendre,
C’est lors que les douleurs commencent à nous prendre.
Baste, ce n’est pas peu que deux mille francs dus
Depuis deux ans entiers me soient enfin rendus ;
Encore est-ce un bonheur.
Mascarille
Ô Dieu ! la belle proie
À tirer en volant ! chut : il faut que je voie
Si je pourrais un peu de près le caresser.
Je sais bien les discours dont il le faut bercer.
Je viens de voir, Anselme…
Anselme
Et qui ?
Mascarille
Votre Nérine.
Anselme
Que dit-elle de moi, cette gente assassine ?
Mascarille
Pour vous elle est de flamme.
Anselme
Elle ?
Mascarille
Et vous aime tant,
Que c’est grande pitié.
Anselme
Que tu me rends content !
Mascarille
Peu s’en faut que d’amour la pauvrette ne meure :
« Anselme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure,
Quand est-ce que l’hymen unira nos deux cœurs,
Et que tu daigneras éteindre mes ardeurs ? »
Anselme
Mais pourquoi jusqu’ici me les avoir celées ?
Les filles, par ma foi, sont bien dissimulées !
Mascarille, en effet, qu’en dis-tu ? quoique vieux,
J’ai de la mine encore assez pour plaire aux yeux.
Mascarille
Oui, vraiment, ce visage est encor fort mettable ;
S’il n’est pas des plus beaux, il est désagréable.
Anselme
Si bien donc…
Mascarille
Si bien donc qu’elle est sotte de vous,
Ne vous regarde plus…
Anselme
Quoi ?
Mascarille
Que comme un époux.
Et vous veut…
Anselme
Et me veut… ?
Mascarille
Et vous veut, quoi qu’il tienne,
Prendre la bourse.
Anselme
La… ?
Mascarille
La bouche avec la sienne.
Anselme
Ah ! je t’entends. Viens çà : lorsque tu la verras,
Vante-lui mon mérite autant que tu pourras.
Mascarille
Laissez-moi faire.
Anselme
Adieu.
Mascarille
Que le Ciel te conduise !
Anselme
Ah ! vraiment je faisais une étrange sottise,
Et tu pouvais pour toi m’accuser de froideur :
Je t’engage à servir mon amoureuse ardeur,
Je reçois par ta bouche une bonne nouvelle,
Sans du moindre présent récompenser ton zèle.
Tiens, tu te souviendras…
Mascarille
Ah ! non pas, s’il vous plaît.
Anselme
Laisse-moi.
Mascarille
Point du tout, j’agis sans intérêt.
Anselme
Je le sais, mais pourtant…
Mascarille
Non, Anselme, vous dis-je :
Je suis homme d’honneur, cela me désoblige.
Anselme
Adieu donc, Mascarille.
Mascarille
Ô long discours !
Anselme
Je veux
Régaler par tes mains cet objet de mes vœux ;
Et je vais te donner de quoi faire pour elle
L’achat de quelque bague, ou telle bagatelle
Que tu trouveras bon.
Mascarille
Non, laissez votre argent ;
Sans vous mettre en souci, je ferai le présent,
Et l’on m’a mis en main une bague à la mode,
Qu’après vous payerez si cela l’accommode.
Anselme
Soit, donne-la pour moi ; mais surtout fais si bien,
Qu’elle garde toujours l’ardeur de me voir sien.