Le courrier, Trufaldin, Mascarille
Le courrier
Seigneur, obligez-moi de m’enseigner un homme…
Trufaldin
Et qui ?
Le courrier
Je crois que c’est Trufaldin qu’il se nomme.
Trufaldin
Et que lui voulez-vous ? Vous le voyez ici.
Le courrier
Lui rendre seulement la lettre que voici.
Lettre
« Le Ciel, dont la bonté prend souci de ma vie,
Vient de me faire ouïr par un bruit assez doux
Que ma fille, à quatre ans par des voleurs ravie,
Sous le nom de Célie est esclave chez vous.
« Si vous sûtes jamais ce que c’est qu’être père,
Et vous trouvez sensible aux tendresses du sang,
Conservez-moi chez vous cette fille si chère,
Comme si de la vôtre elle tenait le rang.
« Pour l’aller retirer je pars d’ici moi-même,
Et vous vais de vos soins récompenser si bien,
Que par votre bonheur, que je veux rendre extrême,
Vous bénirez le jour où vous causez le mien.
« De Madrid.
Dom Pedro de Gusman, marquis de Montalcane. »
Trufaldin
Quoiqu’à leur nation bien peu de foi soit due,
Ils me l’avaient bien dit, ceux qui me l’ont vendue,
Que je verrais dans peu quelqu’un la retirer,
Et que je aurais pas sujet d’en murmurer ;
Et cependant allais par mon impatience
Perdre aujourd’hui les fruits d’une haute espérance.
Un seul moment plus tard tous vos pas étaient vains,
Allais mettre en l’instant cette fille en ses mains ;
Mais suffit, j’en aurai tout le soin qu’on désire.
Vous-même vous voyez ce que je viens de lire :
Vous direz à celui qui vous a fait venir
Que je ne lui saurais ma parole tenir,
Qu’il vienne retirer son argent.
Mascarille
Mais l’outrage
Que vous lui faites…
Trufaldin
Va, sans causer davantage.
Mascarille
Ah ! le fâcheux paquet que nous venons d’avoir !
Le sort a bien donné la baye à mon espoir,
Et bien à la male-heure est-il venu d’Espagne,
Ce courrier que la foudre ou la grêle accompagne :
Jamais, certes, jamais plus beau commencement
N’eut en si peu de temps plus triste événement.