Lélie, Mascarille, Trufaldin
Mascarille
Nous parlions des fortunes d’Horace.
Trufaldin
C’est bien fait. Cependant me ferez-vous la grâce
Que je puisse lui dire un seul mot en secret ?
Lélie
Il faudrait autrement être fort indiscret.
Trufaldin
Écoute, sais-tu bien ce que je viens de faire ?
Mascarille
Non, mais si vous voulez, je ne tarderai guère,
Sans doute, à le savoir.
Trufaldin
D’un chêne grand et fort,
Dont près de deux cents ans ont fait déjà le sort,
Je viens de détacher une branche admirable,
Choisie expressément de grosseur raisonnable,
Dont j’ai fait sur-le-champ, avec beaucoup d’ardeur,
Un bâton à peu près… oui, de cette grandeur.
Moins gros par l’un des bouts, mais plus que trente gaules
Propre, comme je pense, à rosser les épaules,
Car il est bien en main, vert, noueux et massif.
Mascarille
Mais pour qui, je vous prie, un tel préparatif ?
Trufaldin
Pour toi premièrement ; puis pour ce bon apôtre,
Qui veut m’en donner d’une et m’en jouer d’un autre.
Pour cet Arménien, ce marchand déguisé,
Introduit sous l’appas d’un conte supposé.
Mascarille
Quoi ? vous ne croyez pas… ?
Trufaldin
Ne cherche point d’excuse :
Lui-même heureusement a découvert sa ruse,
Et disant à Célie, en lui serrant la main,
Que pour elle il venait sous ce prétexte vain,
Il n’a pas aperçu Jeannette, ma fillole,
Laquelle a tout ouï parole pour parole ;
Et je ne doute point, quoiqu’il n’en ait rien dit,
Que tu ne sois de tout le complice maudit.
Mascarille
Ah ! vous me faites tort ! S’il faut qu’on vous affronte
Croyez qu’il m’a trompé le premier à ce conte.
Trufaldin
Veux-tu me faire voir que tu dis vérité ?
Qu’à le chasser mon bras soit du tien assisté :
Donnons-en à ce fourbe et du long et du large,
Et de tout crime après mon esprit te décharge.
Mascarille
Oui-da, très-volontiers, je l’épousterai bien,
Et par là vous verrez que je n’y trempe en rien.
Ah ! vous serez rossé, Monsieur de l’Arménie,
Qui toujours gâtez tout.