Scène IX

Mascarille, Célie, Hippolyte

Mascarille

Grande, grande nouvelle, et succès surprenant,

Que ma bouche vous vient annoncer maintenant !

Célie

Qu’est-ce donc ?

Mascarille

Écoutez, voici, sans flatterie…

Célie

Quoi ?

Mascarille

La fin d’une vraie et pure comédie.

La vieille égyptienne à l’heure même…

Célie

Hé bien ?

Mascarille

Passait dedans la place, et ne songeait à rien,

Alors qu’une autre vieille assez défigurée,

L’ayant de près, au nez, longtemps considérée,

Par un bruit enroué de mots injurieux

A donné le signal d’un combat furieux,

Qui pour armes pourtant, mousquets, dagues ou flèches,

Ne faisait voir en l’air que quatre griffes sèches,

Dont ces deux combattants s’efforçaient d’arracher

Ce peu que sur leurs os les ans laissent de chair.

On n’entend que ces mots : chienne, louve, bagace !

D’abord leurs scoffions ont volé par la place,

Et laissant voir à nu deux têtes sans cheveux,

Ont rendu le combat risiblement affreux.

Andrès et Trufaldin, à l’éclat du murmure,

Ainsi que force monde, accourus d’aventure,

Ont à les décharpir eu de la peine assez,

Tant leurs esprits étaient par la fureur poussés.

Cependant que chacune, après cette tempête,

Songe à cacher aux yeux la honte de sa tête,

Et que l’on veut savoir qui causait cette humeur,

Celle qui la première avait fait la rumeur,

Malgré la passion dont elle était émue,

Ayant sur Trufaldin tenu longtemps la vue :

« C’est vous, si quelque erreur n’abuse ici mes yeux,

Qu’on m’a dit qui viviez inconnu dans ces lieux »,

À-t-elle dit tout haut : » oh ! rencontre opportune !

Oui, Seigneur Zanobio Ruberti, la fortune

Me fait vous reconnaître, et dans le même instant

Que pour votre intérêt je me tourmentais tant.

Lorsque Naples vous vit quitter votre famille,

J’avais, vous le savez, en mes mains votre fille,

Dont j’élevais l’enfance, et qui par mille traits

Faisait voir dès quatre ans sa grâce et ses attraits.

Celle que vous voyez, cette infâme sorcière,

Dedans notre maison se rendant familière,

Me vola ce trésor. Hélas ! de ce malheur

Votre femme, je crois, conçut tant de douleur,

Que cela servit fort pour avancer sa vie :

Si bien qu’entre mes mains cette fille ravie

Me faisant redouter un reproche fâcheux,

Je vous fis annoncer la mort de toutes deux ;

Mais il faut maintenant, puisque je l’ai connue,

Qu’elle fasse savoir ce qu’elle est devenue. »

Au nom de Zanobio Ruberti, que sa voix

Pendant tout ce récit répétait plusieurs fois,

Andrès, ayant changé quelque temps de visage,

À Trufaldin surpris a tenu ce langage :

« Quoi donc ? le Ciel me fait trouver heureusement

Celui que jusqu’ici j’ai cherché vainement,

Et que J’avais pu voir sans pourtant reconnaître

La source de mon sang et l’auteur de mon être !

Oui, mon père, je suis Horace, votre fils :

D’Albert, qui me gardait, les jours étant finis,

Me sentant naître au cœur d’autres inquiétudes,

Je sortis de Bologne, et quittant mes études,

Portai durant six ans mes pas en divers lieux,

Selon que me poussait un désir curieux.

Pourtant, après ce temps, une secrète envie

Me pressa de revoir les miens et ma patrie.

Mais dans Naples, hélas ! je ne vous trouvai plus,

Et n’y sus votre sort que par des bruits confus :

Si bien qu’à votre quête ayant perdu mes peines,

Venise pour un temps borna mes courses vaines ;

Et j’ai vécu depuis sans que de ma maison

J’eusse d’autres clartés que d’en savoir le nom. »

Je vous laisse à juger si pendant ces affaires

Trufaldin ressentait des transports ordinaires.

Enfin (pour retrancher ce que plus à loisir

Vous aurez le moyen de vous faire éclaircir

Par la confession de votre égyptienne),

Trufaldin maintenant vous reconnaît pour sienne

Andrès est votre frère ; et comme de sa sœur

Il ne peut plus songer à se voir possesseur,

Une obligation qu’il prétend reconnaître

A fait qu’il vous obtient pour épouse à mon maître,

Dont le père, témoin de tout l’événement,

Donne à cette hyménée un plein consentement ;

Et pour mettre une joie entière en sa famille,

Pour le nouvel Horace a proposé sa fille,

Voyez que d’incidents à la fois enfantés.

Célie

Je demeure immobile à tant de nouveautés.

Mascarille

Tous viennent sur mes pas, hors les deux championnes,

Qui du combat encor remettent leurs personnes ;

Léandre est de la troupe, et votre père aussi :

Moi, je vais avertir mon maître de ceci,

Et que lorsqu’à ses vœux on croit le plus d’obstacle,

Le Ciel en sa faveur produit comme un miracle.

Hippolyte

Un tel ravissement rend mes esprits confus.

Que pour mon propre sort je n’en aurais pas plus.

Mais les voici venir.

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