Chapitre 53 Sur un mot de César.

Si nous prenions parfois la peine de nous examiner, d’employer à nous sonder nous-mêmes le temps que nous passons à contrôler autrui et à connaître les choses qui sont en dehors de nous, nous sentirions facilement combien tout notre agencement intime est composé de pièces faibles et imparfaites. N’est-ce pas une preuve notoire de notre imperfection que de ne pouvoir nous contenter de rien et, sous l’empire de la passion et de l’imagination, ne parvenir à discerner ce qu’il nous faut ? En témoigne la grande controverse qui s’est toujours élevée entre les philosophes, à propos du souverain bien de l’Homme : elle dure encore, et durera éternellement, sans que jamais ils ne parviennent à s’accorder et à lui trouver une solution.

L’objet de notre désir nous échappe ? on le préfère à tout autre.

Quand nous l’avons, nous en voulons un autre,

Et notre soif demeure la même.

[Lucrèce, III, 1082-1084]

Quel que ce soit ce qui vient à notre connaissance et dont nous disposions, nous sentons que cela ne nous satisfait pas, et nous courons toujours après les choses futures et inconnues, car celles du présent ne parviennent pas à nous combler. Ce n’est pas, à mon avis, qu’elles n’aient de quoi le faire, mais c’est que nous les saisissons maladroitement.

Il vit que tout ce qui est pour vivre nécessaire

était offert, ou presque, aux mortels.

Les puissants regorgeaient de richesses et d’honneurs,

et fiers de leurs enfants à la bonne renommée.

Pourtant pas un qui ne frémît, en son for intérieur,

Pas un qui ne gémît, angoissés malgré eux !

Il comprit que le mal venait du vase lui-même,

dont les défauts intérieurs corrompaient

ce que l’on y versait, fût-ce le meilleur.

[Lucrèce, VI, 9-17]

Notre désir est indécis et changeant ; il ne sait rien conserver, ni jouir de rien convenablement. L’homme en attribue la cause à un défaut des choses qu’il possède, et il se nourrit et se gave de celles qu’il ne connaît ni ne comprend, auxquelles il attribue ses désirs et ses espoirs, qu’il honore et révère. Comme le disait César : « car c’est une erreur courante et naturelle, chez l’homme, que de ressentir une confiance accrue ou une terreur plus vive devant une situation inconnue et nouvelle ».

[César, De bello civili, II, 4]

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