CHAPITRE IV. DE LA MANIÈRE DE FORMER LES JUGEMENTS.

De là suivent les différentes manières de former les jugements. Dans les monarchies, les juges prennent la manière des arbitres ; ils délibèrent ensemble, ils se communiquent leurs pensées, ils se concilient ; on modifie son avis pour le rendre conforme à celui d’un autre ; les avis les moins nombreux sont rappelés aux deux plus grands. Cela n’est point de la nature de la république. A Rome et dans les villes grecques, les juges ne se communiquaient point : chacun donnait son avis d’une de ces trois manières : J’absous, Je condamne, Il ne me paraît pas 1 a  : c’est que le peuple jugeait ou était censé juger. Mais le peuple n’est pas jurisconsulte ; toutes ces modifications et tempéraments des arbitres ne sont pas pour lui ; il faut lui présenter un seul objet, un fait, et un seul fait, et qu’il n’ait qu’à voir s’il doit condamner, absoudre, ou remettre le jugement.

Les Romains, à l’exemple des Grecs, introduisirent des formules d’actions 2 , et établirent la nécessité de diriger chaque affaire par l’action qui lui était propre. Cela était nécessaire dans leur manière de juger : il fallait fixer l’état de la question, pour que le peuple l’eût toujours devant les yeux. Autrement, dans le cours d’une grande affaire, cet état de la question changerait continuellement, et on ne le reconnaîtrait plus.

De là il suivait que les juges, chez les Romains, n’accordaient que la demande précise, sans rien augmenter, diminuer, ni modifier. Mais les préteurs imaginèrent d’autres formules d’actions qu’on appela de bonne foi 3 , où la manière de prononcer était plus dans la disposition du juge. Ceci était plus conforme à l’esprit de la monarchie. Aussi les jurisconsultes français disent-ils : En France, toutes les actions sont de bonne foi 4 .

1 Non liquet. (M.) — A. B. : Il ne me paraît pas clair.

a A. B. : Il ne me paraît pas clair.

2 Quas actiones, ne populus, prout vellet, institueret, certas solemnesque esse voluerunt. L. 2, § 6, Digest., de orig. jur. (M.)

3 Dans lesquelles on mettait ces mots : ex bona fide. (M.)

4 On y condamne aux dépens celui-là même à qui on demande plus qu’il ne doit, s’il n’a offert et consigné ce qu’il doit (M.)

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