Il faut donc borner la servitude naturelle à de certains pays particuliers de la terre. Dans tous les autres, il me semble que, quelque pénibles que soient les travaux que la société y exige, on peut tout faire avec des hommes libres.
Ce qui me fait penser ainsi, c’est qu’avant que le christianisme eût aboli en Europe la servitude civile, on regardait les travaux des mines comme si pénibles, qu’on croyait qu’ils ne pouvaient être faits que par des esclaves ou par des criminels. Mais on sait qu’aujourd’hui les hommes qui y sont employés vivent heureux 1 . On a, par de petits priviléges, encouragé cette profession ; on a joint à l’augmentation du travail celle du gain ; et on est parvenu à leur faire aimer leur condition plus que toute autre qu’ils eussent pu prendre.
Il n’y a point de travail si pénible qu’on ne puisse proportionner à la force de celui qui le fait, pourvu que ce soit la raison, et non pas l’avarice, qui le règle. On peut, par la commodité des machines que l’art invente ou applique, suppléer au travail forcé qu’ailleurs on fait faire aux esclaves. Les mines des Turcs, dans le banat de Témeswar, étaient plus riches que celles de Hongrie, et elles ne produisaient pas tant, parce qu’ils n’imaginaient jamais que les bras de leurs esclaves.
Je ne sais si c’est l’esprit ou le cœur qui me dicte cet article-ci. Il n’y a peut-être pas de climat sur la terre où l’on ne pût engager au travail des hommes libres. Parce que les lois étaient mal faites a on a trouvé des hommes paresseux : parce que ces hommes étaient paresseux, on les a mis dans l’esclavage 2 .
1 On peut se faire instruire de ce qui se passe à cet égard dans les mines du Hartz dans la basse Allemagne et dans celles de Hongrie. (M.)
a A. B. Étaient mauvaises.
2 Voyez la lettre de Montesquieu à Grosley.