Le magistrat doit veiller à ce que l’esclave ait sa nourriture et son vêtement : cela doit être réglé par la loi.
Les lois doivent avoir attention qu’ils soient soignés dans leurs maladies et dans leur vieillesse. Claude 1 ordonna que les esclaves, qui auraient été abandonnés par leurs maîtres, étant malades, seraient libres s’ils échappaient 2 . Cette loi assurait leur liberté ; il aurait encore fallu assurer leur vie.
Quand la loi permet au maître d’ôter la vie à son esclave, c’est un droit qu’il doit exercer comme juge, et non pas comme maître : il faut que la loi ordonne des formalités qui ôtent le soupçon d’une action violente.
Lorsqu’à Rome il ne fut plus permis aux pères de faire mourir leurs enfants, les magistrats infligèrent 3 la peine que le père voulait prescrire. Un usage pareil entre le maître et les esclaves serait raisonnable dans les pays où les maîtres ont droit de vie et de mort.
La loi de Moïse 4 était bien rude. « Si quelqu’un frappe son esclave, et qu’il meure sous sa main, il sera puni ; mais s’il survit un jour ou deux, il ne le sera pas, parce que c’est son argent. » Quel peuple que celui où il fallait que la loi civile se relâchât de la loi naturelle 5 !
Par une loi des Grecs 6 , les esclaves, trop rudement traités par leurs maîtres, pouvaient demander d’être vendus à un autre. Dans les derniers temps, il y eut à Rome une pareille loi 7 . Un maître irrité contre son esclave, et un esclave irrité contre son maître, doivent être séparés.
Quand un citoyen maltraite l’esclave d’un autre, il faut que celui-ci puisse aller devant le juge. Les 8 lois de Platon et de la plupart des peuples ôtent aux esclaves la défense naturelle : il faut donc leur donner la défense civile.
A Lacédémone, les esclaves ne pouvaient avoir aucune justice contre les insultes ni contre les injures. L’excès de leur malheur était tel qu’ils n’étaient pas seulement esclaves d’un citoyen, mais encore du public ; ils appartenaient à tous et à un seul. A Rome, dans le tort fait à un esclave, on ne considérait que l’intérêt du maître 9 . On confondait, sous l’action de la loi Aquilienne, la blessure faite à une bête et celle faite à un esclave ; on n’avait attention qu’à la diminution de leur prix. A Athènes 10 , on punissait sévèrement, quelquefois même de mort, celui qui avait maltraité l’esclave d’un autre. La loi d’Athènes, avec raison, ne voulait point ajouter la perte de la sûreté à celle de la liberté 11 .
1 Xiphilin, in Claudio. (M.)
2 C’est-à-dire : s’ils guérissaient.
3 Voyez la loi 3 au Code de patria potestate. qui est de l’empereur Alexandre [Sévère]. (M.)
4 Exode, ch. XXI.
5 Il n’y a pas là une férocité judaïque ; on ne voit pas que les Juifs fussent cruels avec leurs esclaves. Dès que l’esclave est une chose aux yeux de la loi, il est naturel (pour parler comme Montesquieu) qu’on croie le maître assez puni par la perte de sa chose. On retrouve la même cruauté législative dans la plupart des pays où règne l’esclavage. En ce point les temps modernes ne sont pas moins odieux que l’antiquité.
6 Plutarque, De la superstition. (M.)
7 Voyez la constitution d’Antonin Pie. Institut., liv. I, tit. VII. (M.)
8 Des Lois, Liv. IX. (M.) Inf., XXVI, III.
9 Ce fut encore souvent l’esprit des lois des peuples qui sortirent de la Germanie, comme on le peut voir dans leurs codes. (M.) — Il en était ainsi dans tous les codes noirs de l’Amérique.
10 Démosthène, orat. contra Midiam, p. 610, édit. de Francfort, de l’an 1604.
11 C’est une nouvelle preuve de l’humanité des Grecs : ils voyaient l’homme dans l’esclave. Mais à Rome, jusqu’aux Antonins, et en Amérique, jusqu’à la guerre de sécession, on n’a jamais vu dans l’esclave que la bête de somme.