Le peuple japonais a un caractère si atroce 1 , que ses législateurs et ses magistrats n’ont pu avoir aucune confiance en lui : ils ne lui ont mis devant les yeux que des juges, des menaces et des châtiments ; ils l’ont soumis, pour chaque démarche, à l’inquisition de la police. Ces lois qui, sur cinq chefs de famille, en établissent un comme magistrat sur les quatre autres ; ces lois qui, pour un seul crime, punissent toute une famille ou tout un quartier ; ces lois, qui ne trouvent point d’innocents là où il peut y avoir un coupable, sont faites pour que tous les hommes se méfient les uns des autres, pour que chacun recherche la conduite de chacun, et qu’il en soit l’inspecteur, le témoin et le juge.
Le peuple des Indes au contraire est doux 2 , tendre, compatissant : aussi ses législateurs ont-ils eu une grande confiance en lui. Ils ont établi peu 3 de peines, et elles sont peu sévères ; elles ne sont pas même rigoureusement exécutées. Ils ont donné les neveux aux oncles, les orphelins aux tuteurs, comme on les donne ailleurs à leurs pères : ils ont réglé la succession par le mérite reconnu du successeur. Il semble qu’ils ont pensé que chaque citoyen devait se reposer sur le bon naturel des autres.
Ils donnent aisément la liberté 4 à leurs esclaves ; ils les marient, ils les traitent comme leurs enfants 5 : heureux climat, qui fait naître la candeur des mœurs, et produit la douceur des lois !
1 Sup., VI, XIII ; XII, XIV.
2 Voyez Bernier, t. II, p. 140. (M.)
3 Voyez dans le quatorzième recueil des Lettres édifiantes, p. 403, les principales lois ou coutumes des peuples de l’Inde de la presqu’île deçà le Gange. (M.)
4 Lettres édifiantes, neuvième recueil, p. 378. (M.)
5 J’avais pensé que la douceur de l’esclavage, aux Indes, avait fait dire à Diodore qu’il n’y avait dans ce pays ni maître ni esclave ; mais Diodore a attribué à toute l’Inde ce qui, selon Strabon, liv. XV, n’était propre qu’à une nation particulière. (M.)