CHAPITRE XVII. PROPRIÉTÉ PARTICULIÈRE AU GOUVERNEMENT DE LA CHINE

Les législateurs de la Chine firent plus 1  ; ils confondirent la religion, les lois, les mœurs et les manières : tout cela fut la morale, tout cela fut la vertu. Les préceptes qui regardaient ces quatre points furent ce que l’on appela les rites. Ce fut dans l’observation exacte de ces rites que le gouvernement chinois triompha. On passa toute sa jeunesse à les apprendre, toute sa vie à les pratiquer. Les lettrés les enseignèrent, les magistrats les prêchèrent. Et, comme ils enveloppaient toutes les petites actions de la vie, lorsqu’on trouva le moyen de les faire observer exactement, la Chine fut bien gouvernée.

Deux choses ont pu aisément graver les rites dans le cœur et l’esprit des Chinois : l’une, leur manière d’écrire extrêmement composée a , qui a fait que, pendant une très-grande partie de la vie, l’esprit a été uniquement 2 occupé de ces rites, parce qu’il a fallu apprendre à lire dans les livres, et pour les livres qui les contenaient ; l’autre, que les préceptes des rites n’ayant rien de spirituel, mais simplement des règles d’une pratique commune, il est plus aisé d’en convaincre et d’en frapper les esprits que d’une chose intellectuelle.

Les princes qui, au lieu de gouverner par les rites, gouvernèrent par la force des supplices, voulurent faire faire aux supplices ce qui n’est pas dans leur pouvoir, qui est de donner des mœurs. Les supplices retrancheront bien de la société un citoyen qui, ayant perdu ses mœurs, viole les lois ; mais si tout le monde a perdu ses mœurs, les rétabliront-ils ? Les supplices arrêteront bien plusieurs conséquences du mal général, mais ils ne corrigeront pas ce mal. Aussi, quand on abandonna les principes du gouvernement chinois, quand la morale y fut perdue, l’État tomba-t-il dans l’anarchie, et l’on vit des révolutions.

1 Voyez les Livres classiques dont le P. du Halde nous a donné de si beaux morceaux. (M.)

a A. B. L’une, la difficulté de l’écriture, qui a fait que, pendant une très-grande partie de la vie, l’esprit en a été uniquement occupé, parce qu’il a fallu, etc.

2 C’est ce qui a établi l’émulation, la fuite de l’oisiveté, et l’estime pour le savoir. (M.)

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