Les dogmes les plus vrais et les plus saints peuvent avoir de très-mauvaises conséquences, lorsqu’on ne les lie pas avec les principes de la société ; et, au contraire, les dogmes les plus faux en peuvent avoir d’admirables, lorsqu’on fait qu’ils se rapportent aux mêmes principes.
La religion de Confucius nie l’immortalité de l’âme ; et la secte de Zénon ne la croyait pas. Qui le dirait ? ces deux sectes ont tiré de leurs mauvais principes des conséquences, non pas justes, mais admirables pour la société.
La religion des Tao et des Foë 1 croit l’immortalité de l’âme ; mais de ce dogme si saint, ils ont tiré des conséquences affreuses 2 .
Presque partout le monde, et dans tous les temps, l’opinion de l’immortalité de l’âme, mal prise, a engagé les femmes, les esclaves, les sujets, les amis, à se tuer, pour aller servir dans l’autre monde l’objet de leur respect ou de leur amour. Cela était ainsi dans les Indes occidentales ; cela était ainsi chez les Danois 3 ; et cela est encore aujourd’hui au Japon 4 , à Macassar 5 , et dans plusieurs autres endroits de la terre.
Ces coutumes émanent moins directement du dogme de l’immortalité de l’âme, que de celui de la résurrection des corps ; d’où l’on a tiré cette conséquence, qu’après la mort un même individu aurait les mêmes besoins, les mêmes sentiments, les mêmes passions. Dans ce point de vue, le dogme de l’immortalité de l’âme affecte prodigieusement les hommes, parce que l’idée d’un simple changement de demeure est plus à la portée de notre esprit, et flatte plus notre cœur, que l’idée d’une modification nouvelle.
Ce n’est pas assez pour une religion d’établir un dogme ; il faut encore qu’elle le dirige. C’est ce qu’a fait admirablement bien la religion chrétienne à l’égard des dogmes dont nous parlons ; elle nous fait espérer un état que nous croyons, non pas un état que nous sentions ou que nous connaissions ; tout, jusqu’à la résurrection des corps, nous mène à des idées spirituelles.
1 Les Tao-sse sont les sectateurs de Lao-Tse. Fo est le nom chinois du Bouddha, et non pas celui d’une secte.
2 Un philosophe chinois argumente ainsi contre la doctrine de Foë. « Il est dit, dans un livre de cette secte, que le corps est notre domicile, et l’âme l’hôtesse immortelle qui y loge ; mais si le corps de nos parents n’est qu’un logement, il est naturel de le regarder avec le même mépris qu’on a pour un amas de boue et de terre. N’est-ce pas vouloir arracher du cœur la vertu de l’amour des parents ? Cela porte de même à négliger le soin du corps, et à lui refuser la compassion et l’affection si nécessaires pour sa conservation : ainsi les disciples de Foë se tuent à milliers. » Ouvrage d’un philosophe chinois, dans le recueil du P. du Halde, tome III, p. 52. (M.) On peut trouver que l’argumentation est forcée ; on en dirait tout autant du christianisme, et avec aussi peu de raison.
3 Voyez Thomas Bartholin, Antiquités danoises. (M.)
4 Relation du Japon, dans le Recueil des Voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes. (M.)
5 Mémoires de Forbin. (M.)