La religion chrétienne est éloignée du pur despotisme : c’est que la douceur étant si recommandée dans l’Évangile, elle s’oppose à la colère despotique avec laquelle le prince se ferait justice, et exercerait ses cruautés.
Cette religion défendant la pluralité des femmes, les princes y sont moins renfermés, moins séparés de leurs sujets, et par conséquent plus hommes ; ils sont plus disposés à se faire des lois, et plus capables de sentir qu’ils ne peuvent pas tout.
Pendant que les princes mahométans donnent sans cesse la mort ou la reçoivent, la religion, chez les chrétiens, rend les princes moins timides, et par conséquent moins cruels. Le prince compte sur ses sujets, et les sujets sur le prince. Chose admirable ! la religion chrétienne, qui ne semble avoir d’objet que la félicité de l’autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci .
C’est la religion chrétienne qui, malgré la grandeur de l’empire et le vice du climat, a empêché le despotisme de s’établir en Éthiopie, et a porté au milieu de l’Afrique les mœurs de l’Europe et ses lois.
Le prince héritier d’Éthiopie jouit d’une principauté, et donne aux autres sujets l’exemple de l’amour et de l’obéissance. Tout près de là on voit le mahométisme faire renfermer les enfants du roi de Sennar : à sa mort, le Conseil les envoie égorger, en faveur de celui qui monte sur le trône.
Que, d’un côté, l’on se mette devant les yeux les massacres continuels des rois et des chefs grecs et romains, et, de l’autre, la destruction des peuples et des villes par ces mêmes chefs, Thimur et Gengiskan, qui ont dévasté l’Asie ; et nous verrons que nous devons au christianisme, et dans le gouvernement un certain droit politique, et dans la guerre un certain droit des gens, que la nature humaine ne saurait assez reconnaître.
C’est ce droit des gens qui fait que, parmi nous, la victoire laisse aux peuples vaincus ces grandes choses : la vie, la liberté, les lois, les biens, et toujours la religion, lorsqu’on ne s’aveugle pas soi-même .
On peut dire que les peuples de l’Europe ne sont pas aujourd’hui plus désunis que ne l’étaient dans l’empire romain, devenu despotique et militaire, les peuples et les armées, ou que ne l’étaient les armées entre elles : d’un côté, les armées se faisaient la guerre ; et, de l’autre, on leur donnait le pillage des villes et le partage ou la confiscation des terres.