CHAPITRE XXIX. DES HÔPITAUX

Un homme n’est pas pauvre parce qu’il n’a rien, mais parce qu’il ne travaille pas. Celui qui n’a aucun bien et qui travaille, est aussi à son aise que celui qui a cent écus de revenu sans travailler. Celui qui n’a rien, et qui a un métier, n’est pas plus pauvre que celui qui a dix arpents de terre en propre, et qui doit les travailler pour subsister. L’ouvrier qui a donné à ses enfants son art pour héritage, leur a laissé un bien qui s’est multiplié à proportion de leur nombre. Il n’en est pas de même de celui qui a dix arpents de fonds pour vivre, et qui les partage à ses enfants.

Dans les pays de commerce, où beaucoup de gens n’ont que leur art, l’État est souvent obligé de pourvoir aux besoins des vieillards, des malades et des orphelins. Un État bien policé tire cette subsistance du fonds des arts même ; il donne aux uns les travaux dont ils sont capables ; il enseigne les autres à travailler, ce qui fait déjà un travail.

Quelques aumônes que l’on fait à un homme nu dans les rues, ne remplissent point les obligations de l’État, qui doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable, et un genre de vie qui ne soit point contraire à la santé  .

Aureng-Zeb  , à qui on demandait pourquoi il ne bâtissait point d’hôpitaux, dit : « Je rendrai mon empire si riche qu’il n’aura pas besoin d’hôpitaux. » Il aurait fallu dire : Je commencerai par rendre mon empire riche, et je bâtirai des hôpitaux.

Les richesses d’un État supposent beaucoup d’industrie. Il n’est pas possible que dans un si grand nombre de branches de commerce, il n’y en ait toujours quelqu’une qui souffre, et dont par conséquent les ouvriers ne soient dans une nécessité momentanée.

C’est pour lors que l’État a besoin d’apporter un prompt secours, soit pour empêcher le peuple de souffrir, soit pour éviter qu’il ne se révolte : c’est dans ce cas qu’il faut des hôpitaux, ou quelque règlement équivalent, qui puisse prévenir cette misère.

Mais quand la nation est pauvre, la pauvreté particulière dérive de la misère générale ; et elle est, pour ainsi dire, la misère générale. Tous les hôpitaux du monde ne sauraient guérir cette pauvreté particulière ; au contraire, l’esprit de paresse qu’ils inspirent, augmente la pauvreté générale, et par conséquent la particulière.

Henri VIII  , voulant réformer l’Église d’Angleterre, détruisit les moines, nation paresseuse elle-même, et qui entretenait la paresse des autres, parce que, pratiquant l’hospitalité, une infinité de gens oisifs, gentilshommes et bourgeois, passaient leur vie à courir de couvent en couvent. Il ôta encore les hôpitaux où le bas peuple trouvait sa subsistance, comme les gentilshommes trouvaient la leur dans les monastères. Depuis ces changements, l’esprit de commerce et d’industrie s’établit en Angleterre.

A Rome, les hôpitaux font que tout le monde est à son aise, excepté ceux qui travaillent, excepté ceux qui ont de l’industrie, excepté ceux qui cultivent les arts  , excepté ceux qui ont des terres, excepté ceux qui font le commerce.

J’ai dit que les nations riches avaient besoin d’hôpitaux, parce que la fortune y était sujette à mille accidents : mais on sent que des secours passagers vaudraient bien mieux que des établissements perpétuels. Le mal est momentané : il faut donc des secours de même nature, et qui soient applicables à l’accident particulier.

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