Il faut qu’il y ait une proportion entre l’État créancier et l’État débiteur. L’État peut être créancier à l’infini ; mais il ne peut être débiteur qu’à un certain degré ; et quand on est parvenu à passer ce degré, le titre de créancier s’évanouit.
Si cet État a encore un crédit qui n’ait point reçu d’atteinte, il pourra faire ce qu’on a pratiqué si heureusement dans un État d’Europe 2 : c’est de se procurer une grande quantité d’espèces, et d’offrir à tous les particuliers leur remboursement, à moins qu’ils ne veuillent réduire l’intérêt. En effet, comme, lorsque l’État emprunte, ce sont les particuliers qui fixent le taux de l’intérêt ; lorsque l’État veut payer, c’est à lui à le fixer.
Il ne suffit pas de réduire l’intérêt, il faut que le bénéfice de la réduction forme un fonds d’amortissement pour payer chaque année une partie des capitaux ; opération d’autant plus heureuse, que le succès en augmente tous les jours 3 .
Lorsque le crédit de l’État n’est pas entier, c’est une nouvelle raison pour chercher à former un fonds d’amortissement ; parce que ce fonds une fois établi rend bientôt la confiance.
1º Si l’État est une république, dont le gouvernement comporte, par sa nature, que l’on y fasse des projets pour longtemps, le capital du fonds d’amortissement peut être peu considérable : il faut, dans une monarchie, que ce capital soit plus grand 4 ;
2º Les règlements doivent être tels, que tous les citoyens de l’État portent le poids de l’établissement de ce fonds, parce qu’ils ont tous le poids de l’établissement de la dette ; le créancier de l’État, par les sommes qu’il contribue, payant lui-même à lui-même ;
3º Il y a quatre classes de gens qui paient les dettes de l’État : les propriétaires des fonds de terre, ceux qui exercent leur industrie par le négoce, les laboureurs et artisans, enfin les rentiers de l’État ou des particuliers. De ces quatre classes, la dernière, dans un cas de nécessité, semblerait devoir être la moins ménagée, parce que c’est une classe entièrement passive dans l’État, tandis que ce même État est soutenu par la force active des trois autres. Mais, comme on ne peut la charger plus sans détruire la confiance publique, dont l’État en général, et ces trois classes en particulier, ont un souverain besoin ; comme la foi publique ne peut manquer à un certain nombre de citoyens, sans paraître manquer à tous ; comme la classe des créanciers est toujours la plus exposée aux projets des ministres, et qu’elle est toujours sous les yeux et sous la main, il faut que l’État lui accorde une singulière protection, et que la partie débitrice n’ait jamais le moindre avantage sur celle qui est créancière.
1 L’abbé de Saint-Pierre avait étudié cette question avant Montesquieu, Rêves d’un homme de bien, p. 62 ; mais il avait vu plus loin que lui en recommandant le système des annuités anglaises de préférence aux créations de rentes perpétuelles, qui ne forcent pas l’État de se libérer. « Et ainsi l’État accumulant de nouvelles dettes sans en rembourser d’anciennes, perd tous les jours son crédit. » Montesquieu en est resté au système de l’amortissement facultatif avec intérêts composés.
2 L’Angleterre. (M.)
3 Parce que dans le système de l’amortissement on accumule les intérêts des intérêts.
4 En d’autres termes, dans une monarchie, telle que la France, où les dépenses augmentaient sans cesse, où le désordre financier était grand, il y avait moins de crédit que dans une république bien réglée, telle qu’était la Hollande.