Les lois saliques, ripuaires, bourguignonnes et wisigothes, cessèrent peu à peu d’être en usage chez les Français : voici comment.
Les fiefs étant devenus héréditaires, et les arrière-fiefs s’étant étendus, il s’introduisit beaucoup d’usages auxquels ces lois n’étaient plus applicables. On en retînt bien l’esprit, qui était de régler la plupart des affaires par des amendes. Mais les valeurs ayant sans doute changé, les amendes changèrent aussi ; et l’on voit beaucoup de 1 chartres où les seigneurs fixaient les amendes qui devaient être payées dans leurs petits tribunaux. Ainsi l’on suivit l’esprit de la loi, sans suivre la loi même.
D’ailleurs, la France se trouvant divisée en une infinité de petites seigneuries, qui reconnaissaient plutôt une dépendance féodale qu’une dépendance politique, il était bien difficile qu’une seule loi pût être autorisée. En effet, on n’aurait pas pu la faire observer. L’usage n’était guère plus qu’on envoyât des officiers 2 extraordinaires dans les provinces, qui eussent l’œil sur l’administration de la justice et sur les affaires politiques. Il paraît même, par les chartres, que lorsque de nouveaux fiefs s’établissaient, les rois se privaient du droit de les y envoyer. Ainsi, lorsque tout, à peu près, fut devenu fief, ces officiers ne purent plus être employés ; il n’y eut plus de loi commune, parce que personne ne pouvait faire observer la loi commune.
Les lois saliques, bourguignonnes et wisigothes furent donc extrêmement négligées à la fin de la seconde race ; et, au commencement de la troisième, on n’en entendit presque plus parler.
Sous les deux premières races on assembla souvent la nation, c’est-à-dire les seigneurs et les évêques : il n’était point encore question des communes. On chercha dans ces assemblées à régler le clergé, qui était un corps qui se formait, pour ainsi dire, sous les conquérants, et qui établissait ses prérogatives. Les lois faites dans ces assemblées sont ce que nous appelons les capitulaires. Il arriva quatre choses : les lois des fiefs s’établirent, et une grande partie des biens de l’Église fut gouvernée par les lois des fiefs ; les ecclésiastiques se séparèrent davantage, et négligèrent 3 des lois de réforme où ils n’avaient pas été les seuls réformateurs : on recueillit 4 les canons des conciles et les décrétales des papes ; et le clergé reçut ces lois, comme venant d’une source plus pure. Depuis l’érection des grands fiefs, les rois n’eurent plus, comme j’ai dit, des envoyés dans les provinces pour faire observer des lois émanées d’eux : ainsi, sous la troisième race, on n’entendit plus parler de capitulaires.
1 M. de la Thaumassière, [Anciennes coutumes de Berry], en a recueilli plusieurs. Voyez, par exemple, les ch. LXI, LXVI, et autres. (M.)
2 Missi dominici. (M.)
3 « Que les évêques, dit Charles le Chauve, dans le capitulaire de l’an 844, art. 8, sous prétexte qu’ils ont l’autorité de faire des canons, ne s’opposent pas à cette constitution, ni ne la négligent. » Il semble qu’il en prévoyait déjà la chute. (M.)
4 On inséra dans le recueil des canons un nombre infini de décrétales des papes ; il y en avait très-peu dans l’ancienne collection. Denys le Petit en mit beaucoup dans la sienne ; mais celle d’Isidore Mercator fut remplie de vraies et de fausses décrétales. L’ancienne collection fut en usage en France jusqu’à Charlemagne. Ce prince reçut des mains du pape Adrien Ier la collection de Denys le Petit, et la fit recevoir. La collection d’Isidore Mercator parut en France vers le règne de Charlemagne : on s’en entêta : ensuite vint ce qu’on appelle le Corps du droit canonique. (M.)