CHAPITRE III. ORIGINE DU VASSELAGE.

César 1 dit « que les Germains ne s’attachaient point à l’agriculture ; que la plupart vivaient de lait, de fromage et de chair ; que personne n’avait de terres ni de limites qui lui fussent propres ; que les princes et les magistrats de chaque nation donnaient aux particuliers la portion de terre qu’ils voulaient, et dans le lieu qu’ils voulaient, et les obligeaient l’année suivante de passer ailleurs. » Tacite dit 2 « que chaque prince avait une troupe de gens qui s’attachaient à lui et le suivaient ». Cet auteur, qui, dans sa langue, leur donne un nom qui a du rapport avec leur état, les nomme 3 compagnons. Il y avait entre eux une émulation 4 singulière pour obtenir quelque distinction auprès du prince, et une même émulation entre les princes sur le nombre et la bravoure de leurs compagnons. « C’est, ajoute Tacite, la dignité, c’est la puissance d’être toujours entouré d’une foule de jeunes gens que l’on a choisis ; c’est un ornement dans la paix, c’est un rempart dans la guerre. On se rend célèbre dans sa nation et chez les peuples voisins, si l’on surpasse les autres par le nombre et le courage de ses compagnons : on reçoit des présents ; les ambassades viennent de toutes parts. Souvent la réputation décide de la guerre. Dans le combat, il est honteux au prince d’être inférieur en courage ; il est honteux à la troupe de ne point égaler la vertu du prince ; c’est une infamie éternelle de lui avoir survécu. L’engagement le plus sacré, c’est de le défendre. Si une cité est en paix, les princes vont chez celles qui font la guerre ; c’est par là qu’ils conservent un grand nombre d’amis a . Ceux-ci reçoivent d’eux le cheval du combat et le javelot terrible. Les repas peu délicats, mais grands, sont une espèce de solde pour eux. Le prince ne soutient ses libéralités que par les guerres et les rapines. Vous leur persuaderiez bien moins de labourer la terre et d’attendre l’année 5 , que d’appeler l’ennemi et de recevoir des blessures ; ils n’acquerront pas par la sœur ce qu’ils peuvent obtenir par le sang. »

Ainsi, chez les Germains, il y avait des vassaux, et non pas des fiefs. Il n’y avait point de fiefs, parce que les princes n’avaient point de terres à donner ; ou plutôt les fiefs étaient des chevaux de bataille, des armes, des repas. Il y avait des vassaux, parce qu’il y avait des hommes fidèles qui étaient liés par leur parole, qui étaient engagés pour la guerre, et qui faisaient à peu près le même service que l’on fit depuis pour les fiefs.

1 Liv. VI de la guerre des Gaules, chap. XXI. Tacite ajoute : Nulli domus, aut ager, aut aliqua cura ; prout ad quem venere aluntur. De morib. Germ., c. XXXI. (M.)

2 De morib. Germ., c. XIII. (M.)

3 Comites. (M.)

4 De moribus Germ., c. XIII et XIV. (M.)

a A : et ils ne conservent un grand nombre d’amis que par la fore et par la guerre.

5 C’est-à-dire la moisson.

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