LETTRE CXIII.

AU CHEVALIER D’AYDIES 1 .

Mon cher chevalier, si vous venez cet été à La Brède, vous prendrez le seul moyen que vous avez d’augmenter la passion que j’ai pour vous ; et quant à ce que vous me dites, de passer par Mayac lorsque j’irai à Paris, je le ferai, et je garde votre lettre pour savoir le chemin ; mais vous n’avez pas dit aux dames vos nièces 2 , à quel point celui que vous leur proposez est délabré et peu propre à remplir les grandes vues que vous avez. Je me souviens d’une pièce de vers où il y avait :

J’ai soixante ans ; c’est trop peu pour vos charmes.

Sylva 3 disait fort bien : « Il n’y a rien de si difficile que de faire l’amour avec de l’esprit ; » et moi je dis qu’il est encore plus difficile de faire l’amour avec le cœur et avec l’esprit 4  ; mais ceci est trop relevé pour un pauvre chasseur devant Dieu : ainsi je ne vous parlerai que de notre misère, qui est extrême, et telle qu’il me semble qu’il vaut mieux s’ennuyer que de se divertir devant des misérables. Je ne sais, ma foi, à quoi tout cela aboutira ; mais je sais que tous les lendemains sont pires, et que cela vise à la dépopulation. Nous serons dépopulés, mon cher chevalier, et peut-être passerons-nous devant les autres.

Vous chassez, et je plante des arbres, et je défriche des landes ; il faut s’amuser comme on peut. La ville de Bordeaux est fort triste, et je ne tâte guère de ce séjour.

On dit que le charmant milord 5 est malade à Toulouse. Agréez, je vous prie, mes sentiments les plus tendres.

Bordeaux, ce 2 janvier 1752.

1 Publiée par Ch. Pougens. Paris, an V (août 1797).

2 Œuvres posthumes, p. 248. « Vous n’avez point dit à vos nièces, etc. »

3 Célèbre médecin de Bordeaux.

4 Œuvres posthumes : « et moi je dis qu’il est très-difficile de faire l’amour avec le cœur et avec l’esprit. »

5 Milord Hyde de Cornbury, sup. lettre CX.

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