LETTRE LIX.

AU MÊME.

Étant aussi en l’air que vous, mon cher ami, et prêt à partir pour la Lorraine avec madame de Mirepoix, j’adresse ma lettre à M. le Nain. Je ne me suis pas bien expliqué, sans doute, dans ma lettre. Je lui ai dit qu’il y avait toutes les apparences que vous seriez de l’Académie, et non pas que vous en étiez. Je ne doute pas que l’on ne vous en accorde la place, en vous présentant à Paris, après cette seconde victoire. Je crois vous avoir déjà mandé que j’avais remis votre seconde médaille à M. Dalnet de Bordeaux. Comme M. Dalnet a deux ou trois millions de biens, j’ai cru ne pouvoir pas choisir mieux pour confier votre trésor. Votre lettre m’ayant totalement désorienté, vous voyant des entreprises pour un siècle, et ne sachant d’ailleurs où vous prendre parmi dix ou douze villes que vous me citiez ; voyant de plus que dans les lieux où j’étais obligé de m’adresser pour l’impression, à cause de la guerre, vous ne trouveriez pas vos convenances, je me suis servi d’une occasion 1 que j’ai trouvée sous ma main, et j’ai cru que cela vous convenait plus que de déranger la suite de vos voyages.

Je souhaite plutôt que vous preniez la route de Bordeaux : si vous y êtes l’automne prochaine ou le printemps prochain, je vous y verrai avec un grand plaisir, et j’entends que vous preniez une chambre dans mon hôtel ; mais je ne traiterai pas si familièrement un homme qui a remporté deux triomphes à l’académie. Adieu, mon cher Abbé, je vous embrasse mille fois.

De Paris, ce 30 mai 1747.

1 Ce fut M. Sarasin, résident de Genève, qui s’en retournait dans son pays, dont l’auteur profita pour envoyer le manuscrit de l’Esprit des Lois au sieur Barillot, imprimeur de cette ville. M. le professeur Vernet fut chargé de présider à l’édition, dans laquelle il se crut permis de changer quelques mots, qu’il ne croyait pas français, parce qu’ils n’étaient pas en français de Genève, ce dont l’auteur fut fort piqué, et il les fit corriger dans l’édition de Paris. (GUASCO.)

Suivant M.Vian ce ne fut pas Sarasin, mais Mussard. résident de France, qui porta le manuscrit à Jacob Vernet. Voyez la Vie de Montesquieu, p. 235.

Share on Twitter Share on Facebook