LETTRE XXX.

A MARTIN FFOLKES 1 .

J’embrasse, monsieur, toutes les occasions qui peuvent me procurer le plaisir de vous parler et de ma parfaite estime et de ma tendre amitié. Vous êtes la personne du monde dont le souvenir m’est plus cher, et avec qui je voudrais le plus vivre ; et vivre avec vous, c’est vous aimer.

Je suis actuellement à Bordeaux, où je jouis des douceurs de mes amis et de ma patrie. M. le président Barbot, secrétaire de notre académie, est un des hommes du monde que j’aime le plus ; il s’est toujours appliqué aux sciences, mais comme un gentilhomme. Il sait comme les savants, et a de l’ardeur comme les Mécènes ; vous méritez l’un et l’autre d’être amis, quoique éloignés, parce que s’il était à Londres et vous à Bordeaux, vous vous chercheriez sans cesse. Je vous envoie un mémoire auquel je vous supplie de vouloir bien répondre ; ayez la bonté de lui faire réponse à son adresse : A M. le président Barbot, secrétaire de l’Académie des belles-lettres, sciences et arts de Bordeaux.

Notre Académie de Bordeaux ne laisse pas que de commencer à fleurir, soit par un grand nombre de personnes distinguées qui en sont, soit par les bienfaits et les dons que quelques membres de cette Société lui ont faits qui la mettent en état d’encourager les sciences. J’y ai presque tous les amis que j’ai dans ce pays-ci, et il me semble que je serais charmé si je vous voyais en augmenter le nombre ; et si une place vous convenait, M. Barbot et moi, nous ferions un grand honneur de vous en faire ouvrir les portes à deux battants ; il ne faudrait pour cela qu’écrire à lui ou à moi. Souvenez-nous que vous nous avez promis M. votre fils pour un an à Bordeaux ; nous les mettrons en bonne compagnie, et nous ferons tout ce qui sera en nous pour qu’il ressemble un jour à son père. Peut-être qu’une des grandes villes de province qu’il y ait [en France 2 ], pour un jeune homme qui trouve bonne compagnie d’honnêtes gens et des amis, vaut mieux que Paris même. Je vous réponds que j’aurai les yeux sur lui, et qu’il ne sera libertin que comme le doit être un galant homme, et que je serai son Mentor.

Adieu, Monsieur, je suis avec l’amitié du monde la plus tendre, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

MONTESQUIEU.

A Bordeaux, ce 14 février 1742.

1 Tiré des Archives de Sir William Ffolkes.

2 La copie porte : à Paris.

Share on Twitter Share on Facebook