LETTRE CI.

USBEK A ***.

On parle toujours ici de la constitution. 1 J’entrai l’autre jour dans une maison, où je vis d’abord un gros homme avec un teint vermeil, 2 qui disait d’une voix forte : J’ai donné mon mandement ; je n’irai point répondre à tout ce que vous dites ; mais lisez-le, ce mandement, et vous verrez que j’y ai résolu tous vos doutes. J’ai bien sué b pour le faire, dit-il en portant la main sur le front ; j’ai eu besoin de toute ma doctrine, et il m’a fallu lire bien des auteurs latins. Je le crois, dit un homme qui se trouvait là, car c’est un bel ouvrage ; et je défierais bien ce jésuite c qui vient si souvent vous voir d’en faire un meilleur. Lisez-le donc, d reprit-il ; et vous serez plus instruit sur ces matières dans un quart d’heure que si je vous en avais parlé toute la journée. e Voilà comme il évitait d’entrer en conversation et de commettre sa suffisance. Mais comme il se vit pressé, il fut obligé de sortir de ses retranchements ; et il commença à dire théologiquement force sottises, soutenu d’un dervis qui les lui rendait très-respectueusement. Quand deux hommes qui étaient là niaient quelque principe, il disait d’abord : Cela est certain, nous l’avons jugé ainsi, et nous sommes des juges infaillibles. Et comment, lui dis-je alors, a êtes-vous des juges infaillibles ? Ne voyez-vous pas, reprit-il, que le Saint-Esprit nous éclaire ? Cela est heureux, lui répondis-je ; car, de la manière dont vous avez parlé tout aujourd’hui, je reconnais que vous avez grand besoin d’être éclairé.

De Paris, le 18 de la lune de rébiab 1, 1717.

a A. C. Pour lors.

1 La constitution Unigenitus, dirigée contre les jansénistes.

2 Un évêque.

b A. C. Il m’a fallu bien suer.

c A. C. Et je défie ce jésuite.

d A. C. Eh bien ! lisez-le donc.

e A. C. Parlé deux heures.

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