LETTRE CXXXIII.

RICA A ***.

J’allai, l’autre jour, voir une grande bibliothèque dans un couvent de dervis, qui en sont comme les dépositaires, mais qui sont obligés d’y laisser entrer tout le monde à certaines heures.

En entrant, je vis un homme grave, 1 qui se promenait au milieu d’un nombre innombrable de volumes qui l’entouraient. J’allai à lui, et le priai de me dire quels étaient quelques-uns de ces livres que je voyais mieux reliés que les autres. Monsieur, me dit-il, j’habite ici une terre étrangère : je n’y connais personne. Bien des gens me font de pareilles questions ; mais vous voyez bien que je n’irai pas lire tous ces livres pour les satisfaire ; j’ai mon bibliothécaire a qui vous donnera satisfaction ; car il s’occupe nuit et jour à déchiffrer tout ce que vous voyez là ; c’est un homme qui n’est bon à rien, et qui nous est très à charge, parce qu’il ne travaille point pour le couvent. Mais j’entends l’heure du réfectoire qui sonne. Ceux qui, comme moi, sont à la tête d’une communauté, doivent être les premiers à tous les exercices. En disant cela, le moine me poussa dehors, ferma la porte, et, comme s’il eût volé, disparut à mes yeux.

De Paris, le 21 de la lune de rhamazan, 1719.

1 L’abbé, ou le supérieur du couvent.

a A. C. Mais j’ai mon bibliothécaire.

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