LETTRE LXXIII.

RICA A ***.

J’ai ouï parler d’une espèce de tribunal qu’on appelle l’Académie française. Il n’y en a point de moins respecté dans le monde ; car on dit qu’aussitôt qu’il a décidé, le peuple casse ses arrêts, et lui impose des lois qu’il est obligé de suivre.

Il y a quelque temps que pour fixer son autorité il donna un code de ses jugements. 1 Cet enfant de tant de pères était presque vieux quand il naquit ; et, quoiqu’il fût légitime, un bâtard, 2 qui avait déjà paru, l’avait presque étouffé dans sa naissance.

Ceux qui le composent n’ont d’autre fonction que de jaser sans cesse : l’éloge va se placer, comme de lui-même, dans leur babil éternel ; et sitôt qu’ils sont initiés dans ses mystères, la fureur du panégyrique vient les saisir et ne les quitte plus.

Ce corps a quarante têtes, toutes remplies de figures, de métaphores et d’antithèses. Tant de bouches ne parlent presque que par exclamation ; ses oreilles veulent toujours être frappées par la cadence et l’harmonie. Pour les yeux, il n’en est pas question ; il semble qu’il soit fait pour parler et non pas pour voir. Il n’est point ferme sur ses pieds ; car le temps, qui est son fléau, l’ébranle à tous les instants et détruit tout ce qu’il a fait. On a dit autrefois que ses mains étaient avides ; je ne t’en dirai rien, et je laisse décider cela à ceux qui le savent mieux que moi.

Voilà des bizarreries, *** que l’on ne voit point dans notre Perse. Nous n’avons point l’esprit porté à ces établissements singuliers et bizarres : nous cherchons toujours la nature dans nos coutumes simples et nos manières naïves.

De Paris, le 27 de la lune de zilhagé, 1715.

1 Le Dictionnaire da l’Académie.

2 Le Dictionnaire de Furetière, publié en 2 vol. in-folio. L’auteur fut exclu de l’Académie en 1685, parce qu’on l’accusa d’avoir profité du travail de ses confrères pour composer le Dictionnaire universel qui porte son nom.

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