LETTRE XCI.

USBEK A RUSTAN.

A ISPAHAN.

Il paraît ici un personnage travesti en ambassadeur de Perse, qui se joue insolemment des deux plus grands rois du monde. Il apporte, au monarque des Français, des présents que le nôtre ne saurait donner à un roi d’Irimette ou de Géorgie ; et, par sa lâche avarice, il a flétri la majesté des deux empires.

Il s’est rendu ridicule devant un peuple qui prétend être le plus poli de l’Europe ; et il a fait dire en Occident que le roi des rois ne domine que sur des barbares.

Il a reçu des honneurs qu’il semblait avoir voulu se faire refuser lui-même ; et, comme si la cour de France avait eu plus à cœur la grandeur persane que lui, elle l’a fait paraître avec dignité devant un peuple dont il est le mépris.

Ne dis point ceci à Ispahan : épargne la tête d’un malheureux. Je ne veux pas que nos ministres le punissent de leur propre imprudence, et de l’indigne choix qu’ils ont fait. 1

De Paris, le dernier de la lune de gemmadi 2, 1715.

1 « Cette ambassade fut toujours fort équivoque et méme quelque chose de plus. Ce qu’on crut en démêler le mieux, fut qu’un ministre d’une des provinces de Perse, comme qui dirait un intendant du Languedoc, avait envoyé ce prétendu ambassadeur pour des affaires de négoce entre des marchands, et que, pour se faire défrayer, il contrefit l’ambassadeur de Perse ; que Pontchartrain, dont cette ambassade regardait le département, ne voulut pas dévoiler la friponnerie, pour amuser le roi et lui faire sa cour, en lui laissant croire que le sophi lui envoyait un ambassadeur. » Notes du Journal de Dangeau. — Quoi qu’il en soit, on le reçut avec beaucoup de pompe. Il enleva une femme mariée, à qui il fit abjurer le christianisme. Cette femme était une bâtarde de l’abbé de Grançay. Voyez la Correspondance d’Élisabeth-Charlotte, duchesse d’Orléans, mère du régent. (Note de l’édition Dalibon. Paris, 1826.)

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