PRÉFACE DE L’ÉDITEUR

Ce volume contient les Œuvres diverses de Montesquieu ; on y trouvera un certain nombre de pièces inédites ou peu connues.

Parmi ces dernières il faut citer les extraits publiés en 1726, dans la Bibliothèque française d’Amsterdam ; ils nous ont conservé tout ce qui nous reste de deux opuscules de Montesquieu : le Traité des Devoirs, et les Réflexions sur la considération et la réputation. Ces fragments font désirer qu’on publie le texte entier, s’il se trouve, comme on le croit, parmi les papiers de l’auteur.

Le Voyage à Paphos est encore un de ces petits ouvrages dont l’existence est connue des curieux, mais peu de personnes l’ont vu, et on ne l’a jamais publié dans les Œuvres complètes. Nous avons réparé cet oubli, sans nous faire illusion sur la valeur de ce jeu d’esprit. ,

On trouvera dans les Lettres familières un certain nombre de lettres qui n’ont jamais été imprimées, et un nombre plus grand de lettres publiées dans ces dernières années, mais restées à peu près inconnues, parce qu’elles sont dispersées dans des recueils où rien n’indique leur présence.

Cet ensemble de lettres permettra, je l’espère, de placer Montesquieu à un meilleur rang parmi les épistolaires français. Sans doute cette correspondance est écrite au courant de la plume et sans prétention. L’auteur n’y a jamais songé à la postérité, mais la langue en est si bonne, le style si facile et si vif, la pensée si claire, qu’en vérité, sur ce terrain, Montesquieu ne craint la comparaison avec aucun de ses contemporains.

J’en dirai autant de ses Pensées diverses ; je connais peu de recueils de ce genre qui contiennent autant d’idées neuves finement exprimées. On ne leur rend pas assez justice. L’éclat des Lettres Persanes, de la Grandeur des Romains, de l’Esprit des lois a jeté dans l’ombre ces ébauches ; mais nous vivons en un temps où, par un amour outré de la simplicité, on préfère le premier jet de l’artiste au tableau le plus achevé. A ce titre, les Pensées et les Lettres de Montesquieu se recommandent au lecteur et sont de nature à éveiller un intérêt nouveau pour un écrivain qu’on cite plus souvent qu’on ne le lit.

On assure qu’à La Brède, les héritiers de Montesquieu possèdent, parmi ses papiers, un manuscrit en trois volumes in-4º contenant les réflexions du président sur ses lectures journalières. Que de choses nouvelles, que de jugements ingénieux, un éditeur ne pourrait-il pas tirer de ce recueil ! et qu’il est fâcheux que les descendants de ce grand ancêtre n’aient pas un culte plus fervent pour celui à qui ils doivent toute la gloire de leur nom !

Il y a encore à La Brède, nous dit-on, des œuvres de la jeunesse de Montesquieu, notamment un conte intitulé le Métempsycologiste, ou, suivant une autre version, la Métempsycologie. C’est probablement un roman oriental ou mythologique, de même origine que le Temple de Gnide et le Voyage à Paphos. Sa publication n’aurait peut-être qu’un intérêt de curiosité et n’ajouterait rien au renom de l’auteur ; mais il y a aussi, parmi les trésors de La Brède, les Notes de voyages d’un homme qui voyait si bien et si loin ; il y a enfin une Correspondance avec son aimable fille Denise, avec Mme du Deffand, la maréchale de Mirepoix, la duchesse d’Aiguillon, le chevalier d’Aydies, le président Hénault, etc., etc. Rien ne serait plus curieux que de connaître de plus près cette société de la première moitié du XVIIIe siècle, société plus instruite, plus élégante, et d’un esprit plus français que les déclamateurs à la Jean-Jacques et les précurseurs de la révolution. On nous promet depuis longtemps la communication de ces richesses ; qu’on veuille bien se presser un peu : Montesquieu appartient à la France, et tous ceux qui vivent de sa pensée ont quelque droit de réclamer l’ouverture de sa succession.

J’avais promis de publier dans ce dernier volume l’Éloge de Montesquieu par d’Alembert, en y joignant quelques documents biographiques. L’Histoire de Montesquieu, publiée tout récemment par M. Vian m’a fait renoncer à cette idée. M. Vian nous a montré que l’Éloge de d’Alembert, comme celui de Maupertuis, n’est qu’une paraphrase d’un Mémoire écrit par M. de Secondat. Cette pièce, qui a le mérite et les défauts d’un éloge funèbre, composé par la piété d’un fils, M. Vian l’a imprimée à la fin de son volume ; c’est là que je renvoie le lecteur. Il trouvera en outre dans ce livre intéressant une abondance de notices et de documents qu’il serait impossible de résumer en quelques pages. Quand on veut étudier le président ailleurs que dans ses écrits, c’est M. Vian qu’il faut consulter.

Ce volume, composé de pièces diverses, achève la publication des Œuvres complètes de Montesquieu. Ce n’est pas sans regret que je vois finir un travail qui m’a occupé six années. Durant tout ce temps, il me semble que j’ai vécu dans la familiarité du président, dans l’intimité de ce grand esprit. Il m’a fait souvent oublier les petitesses de l’heure présente, en m’attachant par la largeur de ses vues, par la sérénité de ses idées. Puissé-je lui témoigner ma reconnaissance en lui conquérant de nouveaux lecteurs, c’est-à-dire des admirateurs et des amis!

Paris, mars 1879.

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