Préface de l’éditeur

Le Voyage à Paphos a toujours été attribué à Montesquieu. Cependant on ne l’a jamais publié dans les œuvres complètes de l’auteur. Il est vrai que cette petite pièce offre peu d’intérêt. On n’y trouve point, comme dans le Temple de Gnide, certaines réflexions, certaines phrases où l’on reconnaît, parmi bien des fadeurs, la marque du maître. Le Voyage à Paphos a été peut-être improvisé pour amuser l’oisiveté d’une grande dame, mais ni l’invention ni l’exécution n’ont dû causer grand’peine au poëte ; tout y est pâle et sans relief. Nous l’avons cependant réimprimé à cause de sa rareté et pour être complet.

Le Voyage à Paphos a été publié pour la première fois, dans le Mercure de France, en décembre 1727 1 .

 

On lit en tête ce qui suit :

Le petit ouvrage qu’on donne ici nous est tombé par hasard entre les mains. Le titre, la première page et la fin sont déchirés du manuscrit ; ainsi nous ne savons pas ce qui peut manquer pour avoir l’ouvrage complet. On peut juger par l’imagination de l’auteur que la fiction doit avoir été poussée plus loin. On espère que l’approbation du public l’engagera à nous donner la suite et le véritable titre ; en attendant, nous le donnons sous le titre que voici : Voyage à Paphos.

En 1747, parut sous la rubrique Florence 2 une édition séparée, qui porte le titre de Voyage de l’isle de Paphos 3 . L’œuvre est complète, on a rétabli le commencement et la fin du manuscrit. On l’a même fait précéder d’une préface insignifiante, et on a inséré, dans le corps du récit, des vers qui sont plus que médiocres. Montesquieu n’a jamais passé pour poëte, mais dans ce qu’on connaît de lui, il n’y a rien d’aussi plat. Au reste, on en pourra juger. Nous n’avons pas voulu que les curieux eussent rien à regretter ; aussi donnons-nous le texte du Mercure avec les variantes et les additions de l’édition de 1747.

Voici la préface de cette dernière édition :

Plaire à tout le monde ; c’est l’impossible. Plaire à beaucoup de personnes ; il est difficile. Plaire à un certain nombre ; cela se peut. Je souhaiterais que cet ouvrage fût lu de toutes les nations. Toutes y prendraient plaisir. Beaucoup l’aimeraient ; mais peu s’en accommoderaient. On n’y verra rien que de très-agréable. Je m’attacherai moins à faire la description de l’île que celle des faits que j’y ai vus. Chacun essaiera de s’y reconnaître dans le caractère de Diphile ; et je suis certain que peu l’imiteront, surtout en France ; car on assure, et je n’en doute nullement, que l’inconstance y prit naissance.

Le Français porte un cœur facile a s’enflammer.

Avide de plaisir, il en est mercenaire,

Et sans posséder l’art d’aimer

Il s’attache au moyen de plaire.

Sans trop chercher à me disculper, je sais qu’on pourrait trouver (et cela même à Paris) des amants dignes de faire le voyage de Paphos, quoiqu’il n’y ait que les plus parfaits qui puissent y arriver. S’il s’en trouve si peu, on ne doit l’attribuer qu’aux mœurs du siècle ; on se fait un devoir d’être inconstant, volage ; cependant on aime ; mais souvent tel s’attache et fait vœu de bien aimer un objet indigne de lui ; ainsi heureux mille fois ceux que l’amour sait assortir.

1 Pages 2849-2886.

2 Le caractère indique une impression faite a Paris.

3 In-12 de 64 pages.

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