L’affranchi Zosime.
Voyant votre douceur pour vos gens, je vous avouerai plus franchement mon indulgence à l’égard des miens. J’ai toujours présent à l’esprit et ce mot d’Homère : « Il était pour eux un tendre père » et ce nom de « père de famille » que nous donnons aux maîtres. Mais, même si j’étais d’un naturel plus insensible et plus dur, j’aurais encore le cœur brisé de la maladie de mon affranchi Zosime, à qui je dois montrer d’autant plus de bonté, qu’il en a plus besoin en ce moment. C’est un homme honnête, complaisant, instruit ; son principal talent, et son titre pour ainsi dire officiel, est celui d’acteur, où il réussit parfaitement. Son débit est vif, juste, agréable et même noble ; il joue en outre de la cithare mieux qu’il est nécessaire à un comédien. Bien plus il lit si agréablement les discours, les histoires et les vers, qu’on croirait qu’il n’a jamais appris autre chose.
Je vous donne tous ces détails pour que vous sachiez quels services variés et agréables il me rend à lui seul. Ajoutez-y l’affection déjà ancienne que j’ai pour lui et que ses dangers mêmes ont accrue. Car ainsi le veut la nature : rien n’avive et n’enflamme l’amitié comme la crainte de perdre ce que nous aimons ; et cette crainte ce n’est pas la première fois que je l’éprouve pour lui. Il y a quelques années, un jour qu’il déclamait avec force et véhémence, il se mit tout à coup à cracher le sang. Je l’envoyai en Égypte pour soigner ce mal. Après un assez long séjour, il en est revenu depuis peu ayant repris des forces ; et puis, ayant trop demandé à sa voix pendant plusieurs jours de suite, une faible toux l’avertit du retour de son ancienne maladie et son crachement de sang le reprit.
Voilà pourquoi j’ai décidé de l’envoyer dans le domaine que vous possédez à Fréjus ; car je vous ai souvent entendu dire qu’il y a là un air très sain et du lait excellent pour guérir ces sortes de maladies. Je vous prie donc d’écrire à vos gens de l’accueillir dans votre propriété, dans votre maison, de subvenir même à ses dépenses, s’il en a besoin, mais ses besoins seront modiques. Il est en effet d’une telle modération et d’une telle sobriété, qu’il se refuse par économie non seulement les douceurs, mais même les soins qu’exige sa santé. Je lui donnerai à son départ assez d’argent pour arriver chez vous. Adieu.