Éloge de Pompéius Saturninus
J’aimais déjà Pompéius Saturninus (je parle de notre ami) et je vantais son talent, même avant d’en connaître toute la variété, la souplesse, l’étendue. Mais maintenant il a mainmise sur moi, me tient, me possède tout entier. Je l’ai entendu plaider avec autant d’élégance et d’éclat que de force et de véhémence, soit dans des discours préparés soit dans des improvisations. On y trouve des traits justes et fréquents, une période pleine et noble, des mots harmonieux et dans le goût des anciens. Toutes ces beautés ont un charme merveilleux, quand elles coulent dans un débit impétueux comme un torrent, et le conservent, quand on les relit à loisir. Vous aurez la même impression que moi, quand vous aurez entre les mains ses discours ; vous ne craindrez pas de les comparer aux plus beaux des anciens, avec lesquels il rivalise. Il est aussi historien et là il vous plaira encore mieux par la brièveté, la clarté, le charme, souvent même par l’éclat et l’élévation de ses récits. En effet il garde dans les harangues de ses personnages les mêmes qualités que dans ses plaidoyers, mais avec quelque chose de plus sobre, de plus concis, de plus ramassé.
Il fait en outre des vers, dignes de ceux de Catulle, ou de Calvus, oui, réellement dignes de ceux de Catulle ou de Calvus. Que de grâce, de douceur, d’amertume, d’amour ! Il mêle parfois, mais à dessein, aux vers doux et faciles, quelques vers un peu durs, à l’imitation encore de Catulle ou de Calvus.
Dernièrement il m’a lu des lettres, disant qu’elles étaient de sa femme. J’ai cru lire du Plaute ou du Térence en prose. Qu’elles soient de sa femme, ainsi qu’il l’affirme, ou de lui, ce qu’il nie, il mérite la même gloire, soit pour avoir écrit ces lettres admirables, soit pour avoir su donner à sa femme, qu’il a épousée, si jeune, tant de culture et de finesse.
Aussi ne me quitte-t-il pas de tout le jour ; je le lis avant de composer, après avoir composé, quand je me délasse, et il ne me semble jamais le même. Faites-en autant, je vous y invite et vous le conseille. Faut-il que ses œuvres souffrent de ce que l’auteur est vivant ? Quoi ! s’il avait brillé dans un temps que nous n’eussions pas connu, nous rechercherions ses livres et même ses portraits ; et, parce qu’il vit au milieu de nous, nous laissons languir sa réputation et sa gloire, comme si nous en étions fatigués. Il est sot et injuste de ne pas admirer un homme si digne d’admiration, parce qu’on a le bonheur de le voir, de lui parler, de l’entendre, de l’embrasser, et non seulement de le louer, mais encore de l’aimer . Adieu.