II. – C. Pline salue son cher Attius Clemens

L’amour paternel dans un méchant homme.

Regulus a perdu son fils  ; c’est le seul malheur qu’il ne méritait pas, parce qu’il ne le regarde peut-être pas comme un malheur. C’était un enfant d’un esprit vif, mais équivoque ; il aurait pu cependant suivre la bonne voie, s’il n’eût ressemblé à son père. Regulus l’émancipa pour qu’il pût recueillir la succession de sa mère.

Après l’avoir ainsi acheté (c’est le mot que suggérait à chacun le caractère de l’homme), il le courtisait en vue de son héritage en affectant une indulgence aussi indigne que rare chez des parents. C’est incroyable, direz-vous ? Mais songez qu’il s’agit de Regulus. Cependant maintenant qu’il l’a perdu, il le pleure follement. L’enfant avait un grand nombre de poneys gaulois pour le char et la selle ; il avait des chiens grands et petits, il avait des rossignols, des perroquets et des merles ; Regulus a tout fait égorger sur le bûcher. Ce n’était pas douleur, mais étalage de la douleur. Une foule incroyable s’empresse autour de lui. Tous le maudissent, le détestent, et pourtant, comme s’ils l’estimaient, comme s’ils l’aimaient, ils accourent, se pressent ; pour dire en un mot toute ma pensée, afin de faire sa cour à Regulus, on imite Regulus. Il s’est retiré au delà du Tibre dans ses jardins, où il a pris un vaste espace pour ses immenses portiques, la rive pour ses statues, car il sait unir la magnificence à la lésine et la vanité à l’extrême infamie. Il dérange tout le monde dans la saison la plus malsaine, et déranger est pour lui une consolation. Il dit qu’il veut se remarier : nouvelle inconséquence à joindre à tant d’autres. Bientôt on apprendra les noces d’un homme en deuil, les noces d’un vieillard, quoique ce soit se marier et trop tôt et trop tard. D’où je tire cette prévision, demandez-vous ? Non de sa propre affirmation, car c’est le plus menteur des hommes, mais de cette certitude que Regulus fera tout ce qu’il ne devrait pas. Adieu.

Share on Twitter Share on Facebook