La statuette en bronze de Corinthe.
D’un héritage qui m’est échu, je viens d’acheter une statue en bronze de Corinthe, petite, il est vrai, mais jolie et expressive, autant que je m’y connais, moi qui, en toute chose et en celle-ci surtout, ne suis qu’un bien médiocre connaisseur ; cependant cette statuette je la comprends moi-même. Elle est nue, aussi ne cache-t-elle pas ses défauts, si elle en a, et étale-t-elle toutes ses beautés. Elle représente un vieillard debout ; les os, les muscles, les nerfs, les veines, les rides même semblent vivre ; les cheveux sont rares et tout en arrière, le front large, le visage ratatiné, le cou maigre ; les muscles des bras sont détendus, les seins flasques, le ventre rentré. De dos aussi il montre le même âge, autant que le dos peut l’indiquer. Quant au bronze, à en juger par sa vraie couleur, il est vieux et antique. Enfin tous les détails sont tels qu’ils peuvent retenir les regards des connaisseurs, charmer ceux des profanes. Voilà ce qui m’a engagé, quoique bien novice, à l’acheter. D’ailleurs je l’ai achetée, non pour la garder chez moi, car je n’ai encore chez moi aucun bronze de Corinthe, mais pour l’exposer dans ma ville natale en un lieu fréquenté, et de préférence dans le temple de Jupiter. Elle paraît en effet un don digne d’un temple, digne d’un dieu.
Veuillez donc vous charger, comme vous le faites pour toutes mes commissions, de ce soin, et dès maintenant commandez un piédestal, du marbre qui vous plaira ; on y inscrira mon nom et mes titres, si vous croyez convenable de les y ajouter. Quant à la statuette, je vous l’enverrai par la première personne que cela ne gênera pas trop, ou plutôt, si vous préférez, je vous l’apporterai moi-même. Car je me propose, pourvu que les devoirs de ma charge me le permettent, de faire un saut chez vous. Vous vous réjouissez de la promesse de ma venue, mais vous allez froncer le sourcil, quand j’ajouterai « Ce n’est que pour peu de jours » ; les mêmes raisons qui retardent mon départ ne me permettent pas une longue absence. Adieu.