III

Voyons donc le géomètre à l’œuvre et cherchons à surprendre ses procédés.

La tâche n’est pas sans difficulté ; il ne suffit pas d’ouvrir un ouvrage au hasard et d’y analyser une démonstration quelconque.

Nous devons exclure d’abord la géométrie où la question se complique des problèmes ardus relatifs au rôle des postulats, à la nature et à l’origine de la notion d’espace. Pour des raisons analogues nous ne pouvons nous adresser à l’analyse infinitésimale. Il nous faut chercher la pensée mathématique là où elle est restée pure, c’est-à-dire en arithmétique.

Encore faut-il choisir ; dans les parties les plus élevées de la théorie des nombres, les notions mathématiques primitives ont déjà subi une élaboration si profonde, qu’il devient difficile de les analyser.

C’est donc au début de l’arithmétique que nous devons nous attendre à trouver l’explication que nous cherchons, mais il arrive justement que c’est dans la démonstration des théorèmes les plus élémentaires que les auteurs des traités classiques ont déployé le moins de précision et de rigueur. Il ne faut pas leur en faire un crime ; ils ont obéi à une nécessité ; les débutants ne sont pas préparés à la véritable rigueur mathématique ; ils n’y verraient que de vaines et fastidieuses subtilités ; on perdrait son temps à vouloir trop tôt les rendre plus exigeants ; il faut qu’ils refassent rapidement, mais sans brûler d’étapes, le chemin qu’ont parcouru lentement les fondateurs de la science.

Pourquoi une si longue préparation est-elle nécessaire pour s’habituer à cette rigueur parfaite, qui, semble-t-il, devrait s’imposer naturellement à tous les bons esprits ? C’est là un problème logique et psychologique bien digne d’être médité.

Mais nous ne nous y arrêterons pas ; il est étranger à notre objet ; tout ce que je veux retenir, c’est que, sous peine de manquer notre but, il nous faut refaire les démonstrations des théorèmes les plus élémentaires et leur donner non la forme grossière qu’on leur laisse pour ne pas lasser les débutants, mais celle qui peut satisfaire un géomètre exercé.

DÉFINITION DE L’ADDITION

Je suppose qu’on ait défini préalablement l’opération x + 1 qui consiste à ajouter le nombre 1 à un nombre donné x.

Cette définition, quelle qu’elle soit d’ailleurs, ne jouera plus aucun rôle dans la suite des raisonnements.

Il s’agit maintenant de définir l’opération x + a, qui consiste à ajouter le nombre a à un nombre donné x.

Supposons que l’on ait défini l’opération :

x + (a - 1),

l’opération x + a sera définie par l’égalité :

(1) x + a = [x + (a - 1)] + 1.

Nous saurons donc ce que c’est que x + a quand nous saurons ce que c’est que x + (a - 1), et comme j’ai supposé au début que l’on savait ce que c’est que x + 1, on pourra définir successivement et « par récurrence » les opérations x + 2, x + 3, etc.

Cette définition mérite un moment d’attention, elle est d’une nature particulière qui la distingue déjà de la définition purement logique ; l’égalité (1) contient en effet une infinité de définitions distinctes, chacune d’elles n’ayant un sens que quand on connaît celle qui la précède.

PROPRIÉTÉS DE L’ADDITION.

Associativité. – Je dis que

a + (b + c) = (a + b) + c.

En effet le théorème est vrai pour c = 1 ; il s’écrit alors

a + (b + 1) = (a + b) + 1

ce qui n’est autre chose, à la différence des notations près, que l’égalité (1) par laquelle je viens de définir l’addition.

Supposons que le théorème soit vrai pour c = γ, je dis qu’il sera vrai pour c = γ + 1, soit en effet

(a + b) + γ = a + (b + γ),

on en déduira successivement :

[(a + b) + γ] + 1 = [a + (b + γ)] + 1,

ou en vertu de la définition (1)

(a + b) + (γ + 1) = a + (b + γ + 1) = a + [b + (γ + 1)],

ce qui montre, par une série de déductions purement analytiques, que le théorème est vrai pour γ + 1.

Étant vrai pour c = 1, on verrait ainsi successivement qu’il l’est pour c = 2, pour c = 3, etc.

Commutativité. – 1° Je dis que :

a + 1 = 1 + a.

Le théorème est évidemment vrai pour a = 1, on pourrait vérifier par des raisonnements purement analytiques que s’il est vrai pour a = γ, il le sera pour a = γ + 1 ; or il l’est pour a = 1, il le sera donc pour a = 2, pour a = 3, etc. ; c’est ce qu’on exprime en disant que la proposition énoncée est démontrée par récurrence.

2° Je dis que :

a + b = b + a.

Le théorème vient d’être démontré pour b = 1, on peut vérifier analytiquement que s’il est vrai pour b = β, il le sera pour b = β + 1.

La proposition est donc établie par récurrence.

DÉFINITION DE LA MULTIPLICATION.

Nous définirons la multiplication par les égalités :

(1) a * 1 = a

(2) a * b = [a * (b-1)] + a.

L’égalité (2) renferme comme l’égalité (1) une infinité de définitions ; ayant défini a * 1, elle permet de définir successivement a * 2, a * 3, etc.

PROPRIÉTÉS DE LA MULTIPLICATION.

Distributivité. – Je dis que

(a + b) * c = (a * c) + (b * c).

On vérifie analytiquement que l’égalité est vraie pour c = 1 ; puis que si le théorème est vrai pour c = γ, il sera vrai pour c = γ + 1.

La proposition est encore démontrée par récurrence.

Commutativité. – 1°Je dis que :

a * 1 = 1 * a

Le théorème est évident pour a = 1.

On vérifie analytiquement que s’il est vrai pour a = α, il sera vrai pour a = α + 1.

2°Je dis que :

a * b = b * a.

Le théorème vient d’être démontré pour b = 1. On vérifierait analytiquement que s’il est vrai pour b = β, il le sera pour b = β + 1.

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