II

Le grand événement qui se préparait, l'intendant l'avait dit tout bas à Chaubourdin, et Chaubourdin l'avait dit haut à tout le monde.

C'était le mariage du prince.

Le prince avait passé trente-six heures dans une chambre obscure, enveloppé dans ses linges, couvert d'onguents mystérieux.

Encore quelques heures, il se serait refait une deuxième jeunesse.

Le soir même de ce jour, lundi de Pâques, à huit heures du soir, le concours serait ouvert.

C'est à dire que toute fille qui se croirait d'une beauté remarquable avait le droit de se présenter au guichet de l'hôtel.

Elle serait reçue d'abord par l'intendant.

Si l'intendant la trouvait assez jolie pour subir une première épreuve, elle franchirait une porte et serait présentée à la femme de l'intendant madame Edwige.

Madame Edwige jugeait en deuxième ressort.

Si madame Edwige trouvait la jeune fille jolie, elle la conduirait dans la grande salle de l'hôtel.

Là, celle-ci rencontrerait sans doute d'autres jeunes filles admises comme elle à concourir.

À une certaine heure, le prince passerait.

Il examinerait une à une les aspirantes au rang de princesse, causerait avec elles, prendrait des notes et leur annoncerait qu'il réfléchirait.

À moins que, toutefois, il ne se trouvât parmi elles quelque beauté souveraine, idéale, qui le subjuguât et le terrassât du coup.

C'était là ce que maître Chaubourdin racontait dans sa boutique ce soir-là, comme la nuit tombait.

Tous les désœuvrés du quartier s'était réunis chez lui.

Chacun même avait amené une connaissance, un ami, un parent.

Chaubourdin, assis derrière son comptoir, donnait complaisamment tous ces détails et on les écoutait avec avidité.

Un brave homme de mercier qui avait pour enseigne : À la Chemise de la Vierge, entra, en ce moment, suivi d'un homme d'épée.

Un homme d'épée faisait toujours un peu de sensation parmi les bourgeois.

Le mercier, qui s'appelait Rabuteau, joignait à son industrie première celle de logeur en garni. Il louait une chambre meublée dans la maison qui se trouvait à l'angle de la rue des Frondeurs et de celle des Orties-Saint-Honoré.

Or l'homme d'épée qu'il amenait n'était autre que son locataire.

Ce locataire était un Gascon, le chevalier de Castirac, qui parlait de ses châteaux et de ses terres à tout venant, et ne retirait sa main de sa poche que pleine de pistoles.

On devine d'où venaient ces pistoles, surtout si on se rappelle le duel du Gascon avec maître Guillaume Laurent, le bourgeois gentilhomme de la rue de l'Hirondelle, duel qui s'était terminé par un petit arrangement.

Or donc le chevalier de Castirac avait accompagné le mercier Rabuteau qui, la veille, avait entendu parler déjà du prince margrave et qui venait chez Chaubourdin avec la certitude qu'il apprendrait des choses intéressantes.

L'apothicaire recommença alors, pour la dixième fois peut-être depuis une heure, le récit qu'il avait déjà fait touchant le margrave qui cherchait à se rajeunir.

À mesure que la nuit approchait, la boutique de Chaubourdin s'emplissait de plus en plus.

L'heure n'était plus loin où les aspirantes à la main du margrave allaient se présenter.

En effet, dès sept heures et demie on vit arriver presque en même temps un carrosse et deux litières.

Litières et carrosse s'engouffrèrent sous la porte cochère d'une vaste cour d'honneur qui se referma aussitôt. Mais cinq minutes ne s'étaient pas écoulées que cette porte se rouvrit et que le carrosse et une des litières sortirent précipitamment.

– Peste ! murmurèrent plusieurs voix, voilà déjà deux personnes hors du concours.

Comme la porte de la boutique était demeurée ouverte, les hôtes de Chaubourdin avaient envahi la rue et jetaient des regards avides à travers les rideaux de la litière, et les vitres du carrosse.

L'un et l'autre contenaient de fort jolies femmes et le chevalier de Castirac s'écria :

– Le vieux drôle est, ma foi, bien difficile !

Pendant deux heures la scène se renouvela.

Chaubourdin avait illuminé sa boutique et l'avait convertie en chapelle ardente, à la seule fin que la lumière se projetât au loin dans la rue et qu'aucun détail de cette scène nocturne ne fût perdu.

Les litières, les carrosses, les modestes pots-de-chambre, petites voitures de louage alors fort à la mode se succédaient, et la même scène se répétait.

– Sandis ! s'écria le chevalier, il est bigrement difficile, ce prince… Voilà les plus belles femmes de France, qui s'en retournent sans avoir même franchi la première salle.

Mais, tout à coup, il se passa quelque chose de plus extraordinaire encore.

On vit arriver une femme à pied, laquelle voulait concourir aussi.

C'était une belle jeune fille de dix-neuf ans, brune comme une Andalouse, emprisonnant avec peine sa chevelure d'ébène dans un mouchoir rouge, et sa taille opulente dans un corsage de velours noir posé sur une jupe rayée de blanc et de bleu.

Elle marchait, posant avec insouciance son petit pied cambré dans la boue noire de la rue, la tête haute, le sourire aux lèvres, comme il convient à ceux qui sont sûrs de la victoire.

La foule, qui s'était ameutée dans la rue, à la porte de l'hôtel battit des mains.

– Sandis, cadédis ! s'écria le chevalier de Castirac, c'est une Bayonnaise ! c'est une compatriote… et elle est en passe de devenir princesse, car elle est plus belle que toutes les autres.

Sur ces mots, en homme avisé et qui ne laisse jamais échapper une occasion de faire son chemin, le Gascon s'en fut droit à la jeune fille, la salua galamment et lui offrit ses services.

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