Nadir poursuivit :
– J’étais au seuil de cette pièce réservée aux femmes et que vous appelez, vous autres Européens, un boudoir.
Il était étincelant de lumières et un parfum pénétrant s’en échappait.
J’avais sous les pieds un riche tapis, autour de moi des meubles luxueux et des tentures d’un ton chaud et voluptueux.
La porte s’était refermée derrière moi, j’étais seul.
Mais tout m’annonçait que la déesse de ce temple allait vernir ; et, en effet, quelques secondes s’étaient à peine écoulées, que la tenture se souleva, démasquant une porte et, par cette porte, une femme entra rayonnante de beauté et de jeunesse.
C’était elle.
Elle me tendit la main en souriant et me dit en anglais : « Vous êtes un parfait gentleman. »
Je la contemplais avec une sorte d’extase.
Jamais, je te l’ai dit, femme ne m’avait paru aussi belle.
Elle se plongea, nonchalante et voluptueuse, dans une immense bergère, qui était auprès de la cheminée, et me fit asseoir à ses côtés.
– Pardonnez-moi, me dit-elle, de vous avoir fait venir ici les yeux bandés. Vous êtes, j’en suis bien certaine, le plus loyal des hommes ; mais, en vous aimant, je cours un danger de mort.
– Un danger de mort ? m’écriai-je.
– Oui.
– Mais comment ?
– J’ai un mari, et un mari jaloux comme un tigre.
– Voulez-vous que je le tue ? lui dis-je.
– Cette parole me plaît, me répondit-elle. Mais non, je ne veux pas qu’il meure.
Le boudoir ressemblait à une véritable serre.
Dans les embrasures des croisées, deux grandes jardinières contenaient des fleurs exotiques, et il ne me fut pas difficile de les reconnaître à leur parfum.
C’étaient des fleurs de l’Inde.
– Elle sait qui je suis, pensai-je, et c’est une délicate attention de sa part.
Mais le parfum des fleurs était si pénétrant qu’il me montait peu à peu à la tête, et que ma raison commençât à s’alourdir.
Elle me tenait toujours les mains et me disait en souriant à m’enivrer :
– Je ne vous ai vu qu’une heure hier, et voici que mon cœur est à vous, et que je suis prête à devenir votre esclave.
Mais, reprit-elle après un silence que j’employai à lui prodiguer mille caresses, je suis capricieuse.
– En vérité ! lui dis-je.
– Qui sait si je vous aimerai longtemps ?
Et elle continuait à sourire.
– Et vous, fit-elle encore, m’aimerez-vous ?
– Je vous aime déjà comme un fou.
– M’aimerez-vous longtemps ?
– Toujours.
Elle devint rêveuse.
– On m’a déjà dit cela plusieurs fois, fit-elle, et cependant… Après cela, ajouta-t-elle avec mélancolie, on dit que les Anglais sont plus constants. Nous verrons.
Je passai deux heures à ses genoux, enivré de sa vue, enivré du parfum des fleurs.
Puis, je m’endormis auprès d’elle, étourdi sans doute par les odeurs pénétrantes qui se dégageaient des deux jardinières.
Cependant, il me sembla, au moment où mes yeux se fermaient, qu’une porte s’était ouverte et qu’un homme pâle, hâve, un fantôme plutôt, s’était arrêté sur le seuil et me regardait avec une sorte d’épouvante et de fureur.
Mais c’était une hallucination sans doute, et mon corps demeura rebelle à ma pensée qui survivait encore à cet engourdissement général.
Mes yeux se fermèrent sous le poids d’un lourd sommeil.
Quand je les rouvris, une sensation d’air vif et frais se fit sentir autour de moi et pénétra tout mon être.
J’étais en plein air, couché sur un banc de votre grande promenade de Paris que vous appelez les Champs-Élysées.
C’était le matin, le soleil était à peine levé.
Je m’éveillai, un peu engourdi et la tête lourde encore, cherchant à rassembler mes souvenirs épars de la nuit.
En mettant les mains dans mes poches, j’y trouvai une lettre.
Elle était en tout semblable à celle que j’avais reçue la veille au matin. Je l’ouvris et je lus :
« Ou nous ne nous reverrons jamais, ou vous accepterez mes conditions.
« Voyez si l’amour que je vous ai inspiré peut vous donner la force de m’obéir.
« Vous ne chercherez pas à savoir qui je suis : vous ne prononcerez jamais mon nom.
« Si étranges que soient les choses que vous veniez à entendre, vous ne chercherez point à les comprendre.
« Si cela vous va, soyez ce soir à la même heure qu’hier derrière la Madeleine.
« Vous trouverez la même femme et la même voiture.
« Au revoir ou adieu.
« ROUMIA. »
– J’irai, me dis-je.
D’abord, j’étais encore enivré de sa beauté et de ses caresses.
Ensuite, je me souvenais vaguement de ce bruit de portes que j’avais entendu, de ce fantôme que j’avais cru voir, et une curiosité ardente s’était emparée de moi.
Nadir, en prononçant ces derniers mots, avala une nouvelle tasse de thé et continua :