XXXIV

Malgré son flair ordinaire d’homme de police, sir James ne se défia pas un instant de Marmouset.

Marmouset avait du reste cet air mêlé de candeur et de rêverie du Parisien des rues qui cherche à se rendre utile, et il n’avait besoin, pour cela, que de se souvenir de sa première jeunesse.

Le détective Edward laissa donc sa valise aux mains de Marmouset, qui se mit à marcher en avant, mais pas assez pour qu’un seul mot de la conversation des deux Anglais pût lui échapper.

Sir James était tête nue, du reste, ce qui prouvait qu’il n’accompagnait son collègue Edward que jusqu’au bout du corridor.

– Quand vous verrai-je ? dit celui-ci.

– Ce soir.

– Où ?

– Vous entrerez au café Anglais vers sept heures.

– Fort bien.

– Vous ne me parlerez pas, mais vous me regarderez. Si j’ai des huîtres devant moi, c’est que les cent mille francs sont retrouvés.

– À merveille !

– Alors vous pourrez me parler, car je n’aurai plus rien à faire avec l’homme aux cent mille francs. J’espère avoir une dépêche dans la soirée, du reste. Adieu.

Et sir James serra la main d’Edward et retourna vers sa chambre.

Marmouset n’avait pas même détourné la tête, mais il avait tout entendu.

Quand il fut en bas de l’escalier, Edward marchant toujours sur ses talons, il fit signe à une voiture qui venait d’amener un voyageur et était prête à s’en retourner.

Le cocher vint se ranger sous le péristyle.

Marmouset ouvrit la portière, mit la valise dans la voiture, et dit :

– Où va monsieur ?

– Au Grand-Hôtel.

Marmouset referma la portière ; puis, le plus naturellement du monde, il grimpa à côté du cocher.

Edward, habitué à l’obséquiosité de tous les gens qu’on rencontre dans les hôtels, ne s’étonna point.

Le fiacre traversa Paris et arriva au Grand-Hôtel.

Marmouset descendit lestement, s’empara de nouveau de la valise, entra de nouveau dans le bureau comme un homme qui a une grande habitude de l’établissement, et dit :

– Une chambre pour mylord ?

– Mon ami, dit Edward en souriant, je ne suis pas lord.

– Tiens ! fit naïvement Marmouset, monsieur est Anglais, pourtant ?

– Sans doute.

– Tous les Anglais ne sont donc pas lords ?

– Non, je ne suis qu’esquire, moi.

– Voilà un drôle de mot que jamais je ne saurai prononcer, dit Marmouset.

L’employé de bureau disait en même temps :

– Conduisez mylord au premier, escalier C…, chambre 21.

Marmouset remit la valise à un garçon ; puis, sa casquette à la main, il attendit son pourboire.

Edward lui donna quarante sous, et Marmouset s’en alla, répétant tout bas :

– Escalier C…, au premier, chambre 21.

La rue Auber passe, comme on sait, derrière le Grand-Hôtel.

Marmouset courut chez lui.

Il était sorti le matin dans un accoutrement qui avait quelque peu étonné son valet de chambre et son portier, ou plutôt son concierge, car la rue Auber est trop aristocratique pour avoir des portiers, et elle vise même aux suisses.

Mais un homme qui, comme Marmouset, a deux ou trois cent mille francs de rentes, possède de beaux chevaux et mène la vie fastueuse des clubs et des coulisses, a bien le droit d’être excentrique.

Marmouset avait dit un mot à son valet de chambre, qui avait mis le concierge au courant.

Il était amoureux d’une petite ouvrière du faubourg du Temple, et se donnait à elle pour un compagnon menuisier, en attendant qu’il la mît dans un huit-ressorts.

Marmouset rentra donc tranquillement chez lui et changea de vêtements. Puis il sonna son groom :

– Mets Lisbeth à la charrette anglaise, lui dit-il, cours rue Marignan et amène-moi Milon.

Comme cela avait été convenu entre eux une heure auparavant, le bon Milon avait pu monter chez lui et attendre les ordres de Marmouset.

Le groom partit.

Quelques minutes après on sonna, et le valet de chambre introduisit une femme dans le cabinet de Marmouset.

C’était Vanda.

– J’allais vous écrire, dit Marmouset.

– Alors j’ai bien fait de venir.

– Oui, car j’ai besoin de vous.

Vanda s’assit et attendit.

– Je sais où est miss Ellen, reprit Marmouset.

– Ah !

– Elle est à Saint-Lazare.

Vanda se prit à sourire.

– Je m’en doutais, fit-elle.

– Et j’ai compté sur vous.

– Pour l’en faire sortir ?

– Oui et non. Cela dépendra.

– De quoi ?

– Du jugement que vous porterez sur elle. D’après le pauvre diable de maçon qui s’est cassé bras et jambes, miss Ellen aime le maître.

– Bon !

– D’après l’Anglais Shoking et vous-même, elle est sa plus mortelle ennemie.

– Eh bien ?

– Vous la verrez, vous causerez avec elle…, et ce que vous déciderez, nous le ferons.

– C’est bien, dit Vanda.

– Vous pensez, continua Marmouset, que je ne me suis même pas préoccupé du moyen de vous faire entrer à Saint-Lazare.

– J’en ai un tout trouvé.

– Ah !

– Quand faut-il y aller ?

– Mais le plus tôt possible… aujourd’hui.

– Non, dit Vanda, pas avant demain.

– Pourquoi ?

– Parce que la personne dont je prendrai la place n’arrivera à Paris que ce soir par le dernier train.

– Que voulez-vous dire ?

– Il y a une légère mutation dans le personnel des prisons en ce moment. Je ne parle pas des détenus, mais des gardiens. Or, dit Vanda, une jeune religieuse que je protège et qui était à Lyon, vient à Paris. Elle descendra chez moi ce soir.

– Très bien.

– Et demain, à sa place, j’entrerai à Saint-Lazare.

– Mais se prêtera-t-elle à cette supercherie ? demanda Marmouset.

– Quand je vous aurai, dit son histoire, vous verrez qu’elle n’a rien à me refuser.

Et Vanda se prit à sourire, ajoutant :

– Ma liaison avec elle n’est pas née d’hier. Elle remonte au temps où j’étais entrée à Saint-Lazare pour faire évader Antoinette Miller.

– Voyons, dit Marmouset, je vous écoute. Nous avons le temps, du reste, car Milon ne sera pas ici avant une demi-heure.

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