Milon et Rocambole se regardaient silencieusement.
Enfin Rocambole s’écria :
– Mais pourquoi donc a-t-elle peur ?
– Je ne sais pas, dit Marmouset.
– Un pressentiment ! murmura Vanda.
– Nous ne pouvons pourtant pas demeurer ici, maintenant, fit Marmouset.
Rocambole eut un soupir.
– Vanda est Russe, dit-il, elle croit à la destinée.
– Allons ! dit Vanda, et Dieu nous protège !
Ils descendirent dans la cour, où ils avaient laissé une lanterne allumée.
– Mes enfants, dit alors Rocambole, je suis toujours votre capitaine. Par conséquent, je mettrai le dernier le pied sur l’échelle.
– Vous descendrez avant moi, maître, dit Marmouset.
– Et pourquoi cela ?
– Parce que le remords pourrait vous prendre, du moment où ce ne sont pas les fénians qui vous délivrent.
Rocambole haussa les épaules.
– Tu es un niais ! dit-il.
Et il mit le pied sur l’échelle après Milon, qui était déjà descendu au fond de l’oubliette.
Ils descendirent ainsi un à un.
Quand ils furent tous dans le souterrain, Milon respira bruyamment.
– Maintenant ! dit-il, les fénians peuvent mettre le feu à leur poudre.
Rocambole tressaillit.
– De quelle poudre veut-on parler ? dit-il.
– Que dis-tu ? s’écria Marmouset.
– Les fénians voulaient vous délivrer cette nuit, maître.
– Comment le sais-tu ?
– Polyte et moi, nous avons vu les barils.
– Des barils de poudre ?
– Oui, contre le mur de Newgate. Mais quand Newgate sautera, nous serons loin.
Vanda répétait :
– J’ai peur, j’ai peur…
Ils étaient arrivés dans la salle circulaire, où ils avaient laissé Pauline.
La petite femme était un peu pâle, et son isolement momentané avait surexcité ses nerfs à un tel point qu’elle jeta un cri en voyant Polyte et, se suspendant à son cou, elle lui dit :
– Viens, partons, partons vite !
– Ah ! dame dit Milon, il n’y a pas de temps à perdre.
Et regardant Marmouset en lui montrant un des trois souterrains qui aboutissaient à la salle circulaire :
– C’est bien celui-ci qu’il faut prendre ?
– Oui.
– C’est celui qui aboutit à la Tamise ? demanda Rocambole.
– Oui, maître.
Mais soudain le sol mugit et trembla sous leurs pieds, une détonation épouvantable se fit entendre et ils furent tous jetés violemment à terre.
– Ah ! voilà le malheur que je pressentais ! dit Vanda en tombant.
– La poudre ! la poudre des fénians ! hurla Milon.
Derrière eux, la galerie souterraine qu’ils venaient de parcourir s’écroulait avec fracas.
– Fuyons ! il en est temps encore ! s’écria Marmouset.
Et il voulut entraîner Rocambole dans la nouvelle galerie qui aboutissait à la Tamise.
Les autres s’étaient relevés.
Cependant la terre tremblait toujours sous leurs pieds, et les éboulements continuaient.
– Ah ! dit Rocambole, qui se redressa, lui aussi, l’œil en feu et le front calme, est-ce donc ma dernière heure qui sonne ?
– Non, non ! dit Marmouset. Le chemin est libre, fuyons !
– Nous sommes perdus ! s’écria Vanda. Au nom du ciel ! n’allons pas plus loin !…
– Marchons ! dit au contraire Marmouset.
– Marchons ! répéta Rocambole.
– Ah ! les gredins de fénians ! hurlait Milon.
Ils firent environ une trentaine de pas dans la nouvelle galerie.
Mais tout à coup une nouvelle détonation se fit entendre.
Vanda jeta un cri suprême et tomba sur ses genoux.
Les compagnons de Rocambole se regardèrent avec une morne épouvante.
Seul, le maître demeura calme et le front haut.
La galerie qui menait à la Tamise s’écroulait à son tour, et sans doute elle allait engloutir tout vivants Rocambole et ses imprudents compagnons.