Marmouset entra donc chez le fameux serrurier d’Osborn street.
Il se fit montrer toutes sortes de serrures, de clefs forées, tréflées, à pompe, à losange, n’arrêtant son choix sur aucune.
Puis enfin, il finit par dire :
– J’ai lu dans un vieux bouquin qu’au XVIIe siècle on employait à Londres un système de serrure fort curieux.
– On en a employé plusieurs, dit le serrurier, qui était un homme érudit.
– Il y en avait un dont la serrure n’était pas apparente.
– Ah ! je sais ce que vous voulez dire, fit le serrurier. J’ai dans mon magasin une porte en fer qui est ainsi disposée.
– Voyons-la, dit Marmouset.
Ils montèrent au premier étage.
– C’est là, dit le serrurier, ce que j’appelle mon musée des antiques.
La Société royale du Muséum vient quelquefois me visiter et m’a même fait quelques acquisitions.
– Ah ! vraiment ?
– Tenez, voilà une porte fort curieuse.
Et le serrurier montra à Marmouset une plaque de fer haute d’un mètre, large de quatre-vingts centimètres, cuivrée par un côté et couverte de sculptures en relief obtenues au marteau.
À première vue, cette plaque de fer n’avait pas de serrure.
– Vous ne voyez rien ? dit le serrurier.
– Absolument rien.
– Regardez bien.
– J’ai beau regarder…
Alors le serrurier prit un marteau et se mit à frapper tout en haut de la plaque, auprès de la partie cintrée.
Le choc du marteau produisit une secousse, et cette secousse fit sortir sur trois côtés, de l’épaisseur même de la feuillure, trois verrous qui semblaient chercher leurs gâches.
– Oh ! c’est merveilleux ! dit Marmouset.
– Avant de vous expliquer ce mécanisme, reprit le complaisant serrurier, il faut que je vous raconte l’histoire de cette porte.
– Allez, dit Marmouset.
Il alluma un cigare, s’assit et attendit.
– Il y a cent cinquante ans, poursuivit le serrurier, Londres a été enveloppé par une vaste conspiration. Les partisans des derniers Stuarts avaient songé à renverser la maison de Hanovre et à faire sauter, à l’aide de la mine, une portion de la Cité.
– En vérité !
– La conspiration fut déjouée. On trouva une quantité considérable de souterrains creusés par les conspirateurs et fermés par des portes de fer semblables à celle-là.
Ce fer, merveilleusement forgé et trempé, résistait à tous les chocs, et il eût été impossible de briser ces portes dans lesquelles, comme vous voyez, on ne trouvait pas trace de serrures, si un des conspirateurs, à qui on avait promis sa grâce, n’eût livré le secret.
Marmouset se disait, tandis que le serrurier parlait :
– Rocambole m’avait bien indiqué… c’était ici que je devais trouver ce que je cherche.
Le serrurier poursuivit :
– Ce système de gonds et de gâches invisibles avait un but.
– Ah !
– Les conspirateurs étaient nombreux ; il eût été difficile, sinon impossible de donner à chacun une clef qui ouvrit toutes ces portes, ou plutôt de faire à chaque porte la même serrure.
On essaya ce système de fermeture au marteau.
Quand on avait frappé un certain nombre de coups, la porte se trouvait fermée.
– Oui, mais comment l’ouvrait-on ?
– De la même manière.
– Bah !
– Seulement, au lieu de frapper par en haut, on frappait par en bas.
Et le serrurier reprit son marteau et frappa à la partie opposée.
Les trois pênes rentrèrent aussitôt dans l’épaisseur du fer.
– Merveilleux, dit encore Marmouset.
Puis, d’un air tout à fait confidentiel :
– Cher monsieur, dit-il, je suis attaché à la Bibliothèque impériale de France.
Le serrurier salua.
– Je suis venu à Londres, aux frais de mon gouvernement, à la seule fin d’écrire sur place un grand ouvrage sur cette même conspiration des Poudres dont vous venez de me parler.
– Ah ! fort bien, dit le serrurier.
– Et on m’avait dit que vous possédiez cette porte, j’ai voulu la voir. Aussi, soyez tranquille, je parlerai de vous dans mon ouvrage.
Le serrurier parut très flatté.
Quant à Marmouset, comme il savait ce qu’il voulait savoir et ce que Rocambole n’avait pu lui dire, il prit congé du serrurier, le remerciant encore, et il remonta dans son cab.
Une demi-heure après il était de retour dans Old-Bailey et entrait dans la boutique de Milon.
Le personnel du nouvel épicier s’était augmenté d’un commis.
Ce commis, c’était le matelot William, l’homme qui n’avait jamais trouvé qu’un maître, l’homme gris.
William avait revêtu le tablier de garçon épicier depuis le matin.
Marmouset lui avait dit :
– Il s’agit de délivrer l’homme gris. Nous y travaillons, veux-tu être des nôtres ?
À quoi William avait répondu :
– Je serai des vôtres jusqu’à la mort.
– C’est bien ; reste avec nous. Quand le moment d’agir sera venu, on te le dira.
Et William s’était installé chez Milon.
Or, Milon vit revenir Marmouset triomphant.
– Prends la chandelle, lui dit celui-ci.
– Bon ! dit Milon, nous allons à la cave ?
– Oui.
– Avez-vous trouvé le moyen d’ouvrir la porte ?
– Naturellement.
Ils descendirent, pénétrèrent dans la première cave, puis dans la seconde, par la brèche qu’ils avaient pratiquée, et Marmouset, prenant la chandelle des mains de Milon, se mit à examiner la porte.
Elle était cintrée et paraissait en tout semblable à celle que Marmouset avait vue chez le serrurier d’Osborn street.
– Mais je ne vois pas de serrure ! dit Milon.
– Tu vas voir pourtant qu’elle s’ouvre, dit Marmouset.
Et il lui rendit la chandelle.
Puis il prit un gros marteau et se mit à frapper coup sur coup dans la partie basse.
Soudain un bruit se fit entendre.
– On dirait un verrou qui court ! murmura Milon.
Marmouset frappa un dernier coup.
Puis il donna une poussée vigoureuse à la porte, qui tourna sur ses gonds invisibles.
Alors l’entrée d’un souterrain étroit et tortueux apparut à leurs yeux.
Marmouset reprit le flambeau à palette de fer des mains de Milon.
– Suis-moi, dit-il, je commence à croire que nous aurons délivré Rocambole avant que les fénians aient songé à prendre un parti.
Et, le premier, il s’aventura dans le souterrain.