– Ah ! diable ! fit alors Milon, comment allons-nous faire maintenant ?
Marmouset, qu’il ne voyait plus, lui répondit par un éclat de rire.
– Tu te noierais volontiers dans un verre d’eau, toi dit-il.
– Je n’ai pas d’allumettes, dit Milon.
– Mais moi j’en ai.
Et Marmouset fit jaillir soudain une étincelle d’une allumette-bougie qu’il frotta avec son ongle.
En même temps Milon le vit tirer de sa poche une petite lanterne à trois faces.
– J’avais prévu le cas où nous trouverions un courant d’air, fit tranquillement Marmouset.
Et il alluma la lanterne dont il referma le verre aussitôt.
– Maintenant, en route ! dit-il.
Et il reprit ses outils sur son épaule et se remit en marche.
À mesure qu’ils avançaient, le bruit devenait plus strident et le courant d’air plus violent.
En même temps la pente avait acquis une grande rapidité.
Bientôt un vent frais, humide, imprégné de cette odeur goudronnée que distille le brouillard de Londres les frappa au visage.
Ils marchèrent sept à huit minutes encore et, tout à coup, ils aperçurent un point lumineux dans le lointain.
Le souterrain allait s’élargissant, et la voûte s’élevait au fur et à mesure.
– Qu’est-ce donc que cette lumière ? murmura Marmouset.
Elle ne peut pourtant pas brûler depuis le dix-septième siècle !
– Nous allons nous jeter dans quelque endroit fréquenté par les hommes, dit Milon.
– Bah !
– Si nous rebroussions chemin…
– Allons donc, dit Marmouset, aurais-tu peur ?
– Pour moi, jamais ! répliqua le colosse.
– Alors, c’est pour moi ?
– Non, mais si nous allions nous trahir…
– Avançons toujours… s’il y a du danger, nous reviendrons sur nos pas.
À mesure qu’ils marchaient, la lumière grandissait, et tout à coup il sembla à Marmouset qu’elle était entourée d’une glace et qu’elle reflétait.
– Bon ! fit-il, je sais ce que c’est.
– Qu’est-ce donc ? demanda Milon.
Ce que nous voyons, c’est la Tamise. Le souterrain aboutit à fleur d’eau.
– Mais l’eau n’est pas lumineuse ?
– C’est la lueur d’un réverbère qui se réfléchit dedans.
– Vous croyez ?
– J’en suis sûr.
Marmouset fit trente pas encore, et l’événement lui donna raison.
Le souterrain s’ouvrait sur la Tamise et c’était bien la réverbération d’un bec de gaz que Milon et lui avaient vue.
La nuit était claire, le brouillard s’était dissipé.
Mais, on le sait, Londres n’a pas de quais ou presque pas.
La partie de la ville que l’on appelle l’agglomération a commencé sous le West-End en amont de Lambeth-palace, la construction des siens ; mais la ville de Londres proprement dite, la Cité, ne paraît nullement pressée de faire les siens.
Marmouset sortit du souterrain et se trouva sur une petite grève étroite.
Milon l’avait suivi.
Tous deux alors purent se rendre compte du lieu où ils étaient.
À leur droite ils avaient le pont de Black-Friars ; à leur gauche, en aval, le pont de Londres ; en face d’eux, la rive méridionale sur laquelle s’étendent le Southwark et le Borough.
– C’est tout ce que je voulais savoir, dit Marmouset. Allons-nous-en !
Et ils rentrèrent dans le souterrain, où ils avaient laissé leur lanterne.
– Nous avons fait un bout de chemin dit alors Milon.
– Mais oui, répondit Marmouset.
– Nous avons passé sous Fleet street et suivi Farringdon road.
– Justement…
– Il y a plus d’une heure que nous marchons.
– Eh bien ! dit encore Marmouset, jouons des guibolles, comme je disais dans mon enfance.
Ils n’avaient cheminé en venant qu’avec précaution et en s’arrêtant de temps à autre.
Maintenant qu’ils étaient sûrs de leur route, ils firent le double de chemin dans le même laps de temps.
Quand ils furent dans la petite salle circulaire, Marmouset tira sa montre.
– Cinq heures et demie, dit-il.
– On doit nous croire morts, là-haut, dit Milon, faisant allusion à leurs compagnons restés dans la boutique d’épicerie.
– Ce n’est pas ce que je veux dire.
– Ah ! fit Milon étonné.
– Nous avons encore une demi-heure à nous.
– Pourquoi faire ?
– Mais, pour explorer l’autre route et nous convaincre que ce n’est pas celle que nous devons suivre.
– Allons ! dit Milon.
Et ils pénétrèrent dans le boyau souterrain de gauche.
Celui-ci faisait un coude et paraissait se diriger vers le nord-ouest.
Il montait, au lieu de descendre.
À cent pas de la salle circulaire ils trouvèrent une porte de fer.
Marmouset l’ouvrit à coups de marteau.
Puis ils avancèrent encore.
– Ah çà ! dit tout à coup Milon, nous allons cependant vers la Tamise, cette fois ?
– Non !
– Cependant j’entends un bruit sourd.
– Moi aussi.
– Alors c’est le bruit des voitures.
– Non pas, dit Marmouset, et nous pouvons nous en retourner. Je sais ce que je voulais savoir.
– Ah ! qu’est-ce donc ?
– Nous laissons Old Bailey à notre droite.
– Bon !
– Et nous sommes sous le Metropolitan-railways, autrement dit Le chemin de fer de Chatham. C’est un convoi qui passe.
En effet, le bruit cessa tout à coup. Le convoi s’était éloigné.
– En es-tu sûr maintenant ? dit encore Marmouset.
– Très sûr.
– Eh bien ! allons-nous-en.
– Et ils revinrent une fois encore sur leurs pas.
Un quart d’heure après, ils reparaissaient dans la boutique.
– Mes enfants, dit alors Marmouset aux vieux compagnons de Rocambole, nous allons fermer la boutique et passer à un autre exercice.
– Ah ! ah ! dit la Mort-des-Braves.
– Il y a de l’ouvrage pour toute la nuit, ajouta Milon.
– Et pour d’autres nuits encore, peut-être, acheva Marmouset.