XII

Pénétrons, à présent, dans l’hôtel Palmure, traversons le vaste jardin qui en dépend et entrons dans un petit pavillon qui s’élève à l’angle nord-ouest.

C’est là que miss Ellen travaille le soir depuis deux jours.

Après avoir soupé en tête à tête avec son père, qui la quitte pour aller au parlement, miss Ellen s’installe dans ce pavillon qui lui sert de salon de lecture, en été, et dans lequel elle a fait allumer un grand feu.

Les domestiques ont reçu l’ordre de ne pas venir la déranger.

Miss Ellen a passé la soirée précédente dans ce pavillon.

Cependant elle sortait de temps à autre et allait entre-bâiller la petite porte qui donne sur une ruelle, et par laquelle Paddy, qu’elle attendait, devait entrer.

Mais Paddy n’est point venu.

Miss Ellen a attendu toute la nuit ; le brouillard commençait à refléter les premiers rayons de l’aube, lorsqu’elle s’est décidée à rentrer dans ses appartements.

Pendant la journée qui a suivi, elle s’est informée plusieurs fois au suisse de l’hôtel, pour savoir si un homme du peuple ne s’était pas présenté.

Mais le suisse n’avait vu personne.

La journée écoulée, le soir venu, miss Ellen est retournée dans le pavillon.

Il est dix heures du soir.

Celui qui s’approcherait du pavillon entendrait un chuchotement de voix, et s’il appliquait son œil contre les persiennes du rez-de-chaussée, il apercevrait miss Ellen causant avec un homme vêtu de noir, grand, maigre, de mine austère et les cheveux grisonnants.

C’est le révérend Peters Town.

Le révérend s’est introduit par la porte du jardin que miss Ellen est allée lui ouvrir, car ce rendez-vous était pris de l’avant-veille.

Tous deux parlent bas : de temps en temps, miss Ellen se lève, va à la fenêtre et écoute.

– Vous attendez donc quelqu’un, miss Ellen ? demande le révérend.

– J’attends cet homme dont je vous ai parlé, qui devait venir hier soir…

– Et qui n’est pas venu ?

– Ce qui m’étonne très-fort, car j’ai donné à sa femme la somme nécessaire pour le faire sortir de White cross.

– Et quelle somme devait-il ?

– Dix guinées.

– Alors, dit le révérend, rassurez-vous ; il viendra ce soir, très-certainement, mais il n’aurait pu venir hier.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il était encore en prison.

Et le révérend raconta, en souriant, qu’étant allé lui-même le matin à White cross pour faire élargir le sacristain de Saint-Paul qui s’était laissé emprisonner, on lui a raconté que sir Cooman le gouverneur, avait trop déjeuné la veille et qu’il avait pris un zéro pour deux, ce qui signifiait qu’il avait vu double.

– Alors, reprit miss Ellen, tout est pour le mieux. Cet homme peut nous être d’une grande utilité.

– Ah ! vraiment ?

– Je vous ai dit que sa femme avait vécu des charités d’un prêtre catholique.

– L’abbé Samuel, le chef occulte des fenians.

– Un des chefs, oui, mais pas le chef suprême.

– Soit.

– Par cet homme nous pourrons suivre l’abbé Samuel, et par l’abbé Samuel, découvrir la retraite de l’homme gris.

– Fort bien, dit le révérend d’un signe de tête. Mais, convenez, miss Ellen, que sur cette libre terre d’Angleterre, la légalité nous tue.

– Que voulez-vous dire ?

– L’abbé Samuel est l’âme du clergé catholique à Londres.

– Bien. Après ?

– Personne n’en doute ; il est un des chefs du parti irlandais.

– J’en suis convaincue.

– Il savait qu’on délivrerait John Colden.

– Sans aucun doute.

– Peut-être même l’avait-il préparé à cet événement, car il a obtenu la permission de passer avec le condamné cette nuit qui devait être la dernière.

– Eh bien ?

– Dans un autre pays, la police n’en demanderait pas davantage.

Elle ferait arrêter l’abbé Samuel, le mettrait en prison, et confierait à un juge habile le soin de lui arracher des aveux.

– Cela est vrai, dit miss Ellen, mais l’Angleterre est le pays de la légalité ; il lui faut constater le flagrant délit pour priver un homme de sa liberté.

– Cela est d’autant plus vrai que nous n’avons pu, nous, poursuivit le révérend Peters Town, mettre en prison l’un des sacristains de Saint-Paul.

– Pourquoi ?

– Vous avez lu dans les journaux que la veille du jour où John Colden devait être pendu, à six heures du soir, un rayon gigantesque de lumière électrique avait couronné la coupole de Saint-Paul ?

– En effet.

– C’était le signal qui devait pousser des quatre coins de Londres les fenians vers Newgate.

– Qui donc avait allumé le rayon ?

– On s’est livré à une enquête qui a amené des preuves morales, mais pas une preuve matérielle.

– Et les preuves morales ?…

– Sont accablantes pour le sacristain. Il y en a deux à Saint-Paul. À huit heures du soir, on ferme les portes de l’église et eux seuls y demeurent.

Or, le matin même, l’un des deux avait été arrêté pour une dette assez importante et conduit à White cross.

L’autre était donc seul, ce soir-là.

On l’a questionné le lendemain, et il a répondu qu’il ne savait pas ce qu’on voulait dire, et qu’il n’avait pas vu de lumière électrique.

On a fouillé par toute l’église, depuis la coupole, où une porte qui se ferme produit le fracas d’un coup de canon, jusques aux caveaux qui renferment les tombeaux de Nelson et du duc de Wellington ; on n’a rien retrouvé.

– Cependant pour produire de la lumière électrique, il est besoin d’un appareil, observa miss Ellen.

– Enfin, dit encore le révérend Peters Town, il a été prouvé que le créancier qui a fait arrêter l’autre sacristain est précisément le beau-père de celui-ci.

Eh bien ! il a fallu se contenter de congédier cet homme qui, nous n’en pouvons douter, est affilié aux Irlandais…

– Chut ! fit tout à coup miss Ellen, écoutez !…

Et elle se leva et s’approcha de la croisée, qu’elle ouvrit.

On venait de frapper trois coups à la petite porte du jardin.

– C’est l’homme que nous attendons, dit la jeune fille, je vais lui ouvrir.

Elle quitta le pavillon et courut à la petite porte.

C’était Paddy, en effet.

– Suis-moi, lui dit miss Ellen, qui reprit le chemin du pavillon.

Il parut surpris à la vue du révérend Peters Town ; mais Ellen lui dit :

– Monsieur est un ami à moi devant qui tu peux parler.

Paddy, je puis faire ta fortune.

Paddy s’inclina.

– J’espère bien, en effet, dit-il, que milady me donnera de l’ouvrage, car j’ai refusé tout à l’heure une besogne assez lucrative.

– Ah ! fit miss Ellen, et en quoi consistait-elle cette besogne ?

– Il paraît que la police promet une prime de deux cents livres à qui retrouvera John Colden.

Le prêtre et la jeune fille tressaillirent.

– Eh bien ? fit cette dernière.

– Et deux camarades du quartier qui croient être sur les traces du condamné, m’ont proposé de les aider.

– Ah ! vraiment ! fit miss Ellen.

Et un rayon de joie brilla dans ses yeux…

Quant au révérend Peters Town, son visage pâle s’était légèrement coloré.

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