Les deux chiens qui s’étaient pris, là-bas, de l’autre côté du canal, et que nous ne pouvions pas ne pas voir, Gloriette et moi, de notre banc, nous donnaient le spectacle d’un grotesque et douloureux collage dont la rupture s’éternise, quand arriva près d’eux Coursol. Il ramenait ses moutons par le canal et portait sur l’épaule une bûche de bois qu’il avait ramassée en chemin pour se chauffer l’hiver.
Dès qu’il s’aperçut que l’un des deux chiens était à lui, il le saisit par le collier et laissa d’abord tomber sa bûche, sans hâte, sur l’autre chien.
Comme les deux bêtes ne se séparaient pas, Coursol, au milieu de ses moutons arrêtés, dut frapper plus fort. Le chien hurla sans pouvoir rompre. On entendit alors les coups de bûche résonner sur l’échine.
« Pauvres bêtes ! dit Gloriette pâle.
– Voilà, dis-je, comme on les traite au pays, et c’est étonnant que Coursol ne les jette pas au canal. L’eau agirait plus vite.
– Quelle brute ! dit Gloriette.
– Mais non ! C’est Coursol, un brave homme paisible. » Gloriette se retenait de crier. J’étais écœuré comme elle, mais j’avais l’habitude. « Ordonne-lui de cesser ! dit Gloriette.
– Il est loin, il m’entendrait mal.
– Lève-toi ! fais-lui des signes !
– S’il me comprenait, il répondrait sans colère : Est-ce qu’on peut laisser des chiens dans cet état ? » Gloriette regardait, toute blanche, lèvres ouvertes, et Coursol tapait toujours sur le chien courbaturé.
« Ça devient atroce ! Veux-tu que je m’en aille ? dit Gloriette prise de pudeur. Tu pourras mieux te révolter contre ce misérable ! »
J’allais répondre je ne sais quoi, quelque chose de ce genre : « Ce n’est pas sur notre commune ! », lorsqu’un dernier coup de bûche, qui pouvait les assommer, désunit les deux bêtes. Coursol, ayant agi comme il devait, poussa ses moutons vers le village. Les chiens, libres, restèrent quelques instants l’un près de l’autre. Ils tournaient, penauds, sur eux-mêmes, encore liés par le souvenir.