II

Sabine s’avançait sous les hêtres rouges, d’un pas de rêve, et quand elle sortit de l’ombre des ramures, elle parut toute proche des beaux nuages qui s’assemblaient dans l’Occident. La lumière était fantasque et variable ; les pénombres palpitaient, et Sabine, considérant la rivière et ses nobles peupliers, goûtait la tiédeur vivante de la brise. La ferveur des races jeunes gonflait sa poitrine ; elle n’apercevait plus la vie comme une sylve pleine de pièges et il y avait de la témérité dans la manière dont elle secouait sa chevelure.

Tandis qu’elle s’abandonnait à l’étrange peuple des songes, elle perçut l’approche d’un être et se tourna. Meyral sortit de la pénombre. Il avançait avec une sorte de crainte ; ses grands yeux clairs n’osaient se fixer sur la jeune femme. Elle le regarda venir. Quand il fut près d’elle, il murmura :

– Bientôt, nous serons délivrés !

Une mélancolie passa sur leurs visages. Les liens qui les avaient unis pendant de longs mois étaient devenus si faibles qu’ils ne les sentaient qu’aux minutes d’exaltation. Dans la brise sourdement orageuse, devant le paysage de vieille France, ils communièrent dans un même regret :

– Je ne puis m’en réjouir, répondit-elle. Il me semble que je vais être seule.

Elle baissa la tête et ajouta à voix basse :

– J’aimais l’être mystérieux qui nous unissait !

– N’est-ce pas ? fit-il de sa voix mystique. Vous ne sauriez croire comme j’étais triste, tout à l’heure, en considérant les lignes frêles qui nous joignent encore ; j’ai cru sentir les pulsations d’agonie de Celui en qui nous vivions : mon sang s’est glacé.

– Je l’ai su !… J’ai partagé votre souffrance.

Elle le regarda fixement. Leurs cœurs s’étaient mis à battre.

Elle reprit, d’un accent un peu rauque et brusque :

– Je sais aussi pourquoi vous m’avez suivie.

– Sabine ! dit-il avec un tremblement. J’étais résigné, je puis l’être encore – mais prenez garde de ne me donner aucune vaine espérance ; le réveil serait abominable !

Elle n’hésita qu’une seconde, puis :

– Si je voulais mettre en vous ma confiance ?

– Oh ! cria-t-il avec une joie prête à se changer en détresse. Ne me faites rien entrevoir si vous ne m’aimez pas !

Elle lui sourit, avec la malice tendre de la femme ; un immense frisson la secoua ; toute la beauté du monde passa dans un ouragan d’amour ; incliné devant elle, craintif et farouche, il dit d’une voix brisée :

– Est-ce vrai ? Ne vous trompez-vous point… N’est-ce pas de la compassion ?… je ne veux pas de compassion, Sabine.

Elle lui prit la main, elle se pencha vers le visage suppliant :

– Je crois que je serai heureuse !

– Ah ! soupira-t-il.

Il n’y avait plus de passé, ou plutôt la minute présente contenait toute la vie, tout le temps, tout l’espace. Il demeura une minute agenouillé sur la terre sacrée où se tenait Sabine ; la religion des races remplit sa poitrine et, lorsque la grande chevelure blonde toucha ses lèvres, il connut que sa destinée était accomplie.

FIN

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