6. L’extermination

L’an du monde 22 649, le quinzième jour de la huitième lune.

Quand l’astre rouge s’est posé sur les collines orientales, les peuples étaient rangés en bataille devant Kzour.

L’âme grandie d’espérance, j’ai fini de parler aux chefs, des cors ont sonné, les lourds marteaux ont retenti sur l’airain, et la première armée a marché contre la forêt.

Or, les barrières étaient plus fortes, un peu plus grandes, et renfermaient douze hommes au lieu de six, sauf un tiers environ qui étaient construites d’après l’idée ancienne.

Ainsi, elles devenaient plus difficiles à brûler comme à renverser.

Les premiers moments du combat ont été heureux ; après la troisième heure, quatre cents Xipéhuz étaient exterminés, et deux mille des nôtres seulement. Encouragé par ces bonnes nouvelles, je lançai le deuxième corps. L’acharnement de part et d’autre devint alors épouvantable, nos combattants s’accoutumant au triomphe, les antagonistes déployant l’opiniâtreté d’un noble Règne. De la quatrième à la huitième heure, nous ne sacrifiâmes pas moins de dix mille vies ; mais les Xipéhuz les payèrent de mille des leurs, si bien que mille seulement restaient dans les profondeurs de Kzour.

De ce moment, je compris que l’Homme aurait la possession du monde ; mes dernières inquiétudes s’apaisèrent.

Pourtant, à la neuvième heure, il y eut une grande ombre sur notre victoire. À ce moment, les Xipéhuz ne se montraient plus que par masses énormes dans les clairières, dérobant leurs étoiles, et il devenait presque impossible de les renverser. Animés par la bataille, beaucoup des nôtres se ruaient sur ces masses. Alors, d’une évolution rapide, un gros de Xipéhuz se détachait, renversant et massacrant les téméraires.

Un millier périt ainsi, sans perte sensible pour l’ennemi ; ce que voyant, des Pjarvanns crièrent que tout était fini ; une panique prévalut qui mit plus de dix mille hommes en fuite, un grand nombre ayant même l’imprudence d’abandonner les barrières pour aller plus rapidement. Il leur en coûta. Une centaine de Xipéhuz, mis à leur poursuite, abattit plus de deux mille Pjarvanns et Zahelals : l’épouvante commença de se répandre sur toutes nos lignes.

Quand les coureurs m’apportèrent cette funeste nouvelle, je compris que la journée serait perdue si je ne réussissais, par quelque rapide manœuvre, à reprendre les positions perdues. Immédiatement, je fis donner aux chefs de la troisième armée l’ordre de l’attaque, et j’annonçais que j’en prendrais le commandement. Puis, je portai rapidement ces réserves dans la direction d’où venaient les fuyards. Nous nous trouvâmes bientôt face à face avec les Xipéhuz poursuivants. Entraînés par l’ardeur de leur tuerie, ceux-ci ne se reformèrent pas assez vite, et, en peu d’instants, je les eus fait envelopper : très peu échappèrent ; l’acclamation immense de notre victoire alla rendre courage aux nôtres.

Dès lors, je n’eus pas de peine à reformer l’attaque ; notre manœuvre se borna constamment à détacher des segments des groupes ennemis, puis à envelopper ces segments et à les anéantir.

Bientôt, concevant combien cette tactique leur était défavorable, les Xipéhuz recommencèrent contre nous la lutte en petits corps, et le massacre des deux Règnes, dont l’un ne pouvait exister que par l’anéantissement de l’autre, redoubla effroyablement. Mais tout doute sur l’issue finale disparaissait des âmes les plus pusillanimes. Vers la quatorzième heure, c’est à peine s’il restait cinq cents Xipéhuz contre plus de cent mille hommes, et ce petit nombre d’antagonistes était de plus en forêt enfermé dans des frontières étroites, un sixième environ de la forêt de Kzour, ce qui facilitait extrêmement nos manœuvres.

Cependant, le crépuscule ruisselait en rouge lumière à travers les arbres, et craignant les embûches de l’ombre, je fis interrompre le combat.

L’immensité de la victoire dilatait toutes les âmes ; les chefs parlèrent de m’offrir la souveraineté des peuples. Je leur conseillai de ne jamais confier les destinées de tant d’hommes à une pauvre créature faillible, mais d’adorer l’Unique, et de prendre pour chef terrestre la Sagesse.

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