III Les ténèbres

Mais le système préventif préconisé par le conseil, bientôt se montra impuissant. Au printemps suivant, les tribus Hertoth et Nazzum passant près de l’enceinte des pieux, sans défiance, un peu en désordre, furent cruellement assaillies par les Formes et décimées.

Les chefs qui échappèrent au massacre racontèrent au grand conseil Zahelal que les Formes étaient maintenant beaucoup plus nombreuses qu’à l’automne passé. Toutefois, comme auparavant, elles limitaient leur poursuite, mais les frontières s’étaient élargies.

Ces nouvelles consternèrent le peuple : il y eut un grand deuil et de grands sacrifices. Puis, le conseil résolut de détruire la forêt de Kzour par le feu.

Malgré tous les efforts on ne put incendier que la lisière.

Alors, les prêtres, au désespoir, consacrèrent la forêt, défendirent à quiconque d’y entrer. Et plusieurs étés s’écoulèrent.

Une nuit d’octobre, le campement endormi de la tribu Zulf, à dix portées d’arc de la forêt fatale, fut envahi par les Formes. Trois cents guerriers perdirent encore la vie.

De ce jour une histoire sinistre, dissolvante, mystérieuse, alla de tribu en tribu, murmurée à l’oreille, le soir, aux larges nuits astrales de la Mésopotamie. L’homme allait périr. L’autre, toujours élargi, dans la forêt, sur les plaines, indestructible, jour par jour dévorerait la race déchue. Et la confidence, craintive et noire, hantait les pauvres cerveaux, à tous ôtait la force de lutte, le brillant optimisme des jeunes races. L’homme errant, rêvant à ces choses, n’osait plus aimer les somptueux pâturages natals, cherchait en haut, de sa prunelle accablée, l’arrêt des constellations. Ce fut l’an mil des peuples enfants, le glas de la fin du monde, ou, peut-être, la résignation de l’homme rouge des savanes indiennes.

Et, dans cette angoisse, les méditateurs venaient à un culte amer, un culte de mort que prêchaient de pâles prophètes, le culte des Ténèbres plus puissantes que les Astres, des Ténèbres qui devaient engloutir, dévorer la sainte Lumière, le feu resplendissant.

Partout, aux abords des solitudes, on rencontrait immobiles, amaigries des silhouettes d’inspirés, des hommes de silence, qui, par périodes, se répandant parmi les tribus, contaient leurs épouvantables rêves, le Crépuscule de la grande Nuit approchante, du Soleil agonisant.

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