« – Précédant les bannières,
« Aux foires il jouait devant les militaires,
« Et nettoyait gaîment leur appareil guerrier :
« Des armes comme alors étincelait l’acier !
« Qui pourra désormais jouer au lieu d’Habbie
« En tête de la compagnie ? »
Élégie d’Habbie Sympson.
En tête de la cavalcade marchait Niel, le joueur de cornemuse de la ville, monté sur son bidet blanc, armé de l’épée et de la dague écossaise, et dont l’instrument était garni d’autant de rubans qu’il en faudrait pour parer six beautés de village un jour de foire ou de prêche. Niel, garçon bien fait de corps, la taille droite et raide, propre, et muni de bons poumons, avait obtenu par son mérite le poste officiel de joueur de cornemuse de… , et les émolumens qui y étaient attachés, savoir un champ d’une acre d’étendue, le pipers croft , comme on l’appelle encore ; cinq marcs d’argent, un habit neuf à la livrée de la ville, chaque année ; l’espoir d’obtenir un dollar à l’élection des magistrats, si le prévôt avait la volonté et le pouvoir de lui accorder une telle gratification ; et le privilége d’aller donner une sérénade, au retour du printemps, à la porte de toutes les maisons respectables de la banlieue, pour réjouir le cœur des autres par sa musique, réconforter le sien avec leur ale et leur brandevin, et demander à chacun une rétribution de blé.
Outre ces avantages inestimables, Niel sut, par ses qualités personnelles ou son talent musical, obtenir la main d’une fraîche veuve qui tenait le principal cabaret de l’endroit. Le premier mari ayant été un presbytérien si rigide que les gens de sa secte l’appelaient Graius le publicain, plusieurs de ses ardens coreligionnaires étaient scandalisés qu’elle lui eût donné pour successeur un homme de sa profession ; mais comme la bière de la taverne conserva sa réputation sans égale, les anciennes pratiques continuèrent généralement à lui accorder la préférence. Le caractère du nouvel hôte était d’ailleurs on ne peut plus accommodant, et il avait soin de tenir le gouvernail de sa petite barque de manière à ce qu’elle pût résister aux flots de toutes les factions. Niel était toujours de bonne humeur, plein de malice et de finesse, pensant beaucoup à contenter ses habitués dans son intérêt personnel, et s’inquiétant fort peu des querelles qui divisaient l’église et le gouvernement. Mais le lecteur connaîtra mieux son caractère si nous lui rendons compte des instructions qu’il donna à sa fille Jenny en rentrant chez lui, pendant que la troupe des chevaliers du Perroquet se plaçait autour d’une grande table au milieu de la principale salle de son cabaret. Jenny avait environ dix-huit ans ; il n’y avait que six mois que sa mère avait été portée au cimetière, et elle commençait à la remplacer dans les soins dont la défunte s’était si bien acquittée de son vivant.
– Jenny, lui dit Niel Blane tandis qu’elle l’aidait à se débarrasser de sa cornemuse, voici le premier jour où vous allez remplacer votre rigide mère dans le service de la maison ; c’était une bonne femme, civile avec tout le monde, whigs ou torys, n’importe de quel quartier de la ville ; vous remplirez difficilement sa place, surtout un jour comme celui-ci, mais que la volonté du ciel soit faite. Jenny, quoi que ce soit que puisse demander Milnwood, ayez soin de le lui donner ; car il est capitaine du Perroquet, et il ne voudra pas déroger aux vieux usages ; peut-être il ne paiera point l’écot lui-même, car son oncle a les cordons de sa bourse bien serrés. Mais ne vous inquiétez pas ; je saurai bien tirer de l’argent du vieux avare, en lui faisant honte de cette dette. – Voilà le desservant de la paroisse qui joue aux dés avec le cornette Grahame, soyez empressée et polie envers tous deux. Dans le temps où nous vivons, les capitaines et le clergé sont à craindre quand ils en veulent à quelqu’un. Les dragons vont crier pour de la bière ; ils en auront, il faut qu’ils en aient : ce sont des tapageurs, mais ils paient d’une façon ou d’une autre. J’ai acheté la vache sans cornes, qui est la meilleure de notre étable, au noir Frank Inglis et au brigadier Bothwell pour dix livres d’Écosse, et ils en burent le prix dans une séance.
– Mais, mon père, interrompit Jenny, on dit que ces deux maraudeurs ont pris cette vache de la pauvre ménagère de Bell’s Moor, uniquement parce qu’elle avait été un dimanche après midi entendre un prédicateur dans les champs.
– Chut ! petite sotte, lui dit son père : avons-nous besoin de savoir d’où vient le bétail qu’ils nous vendent ? c’est l’affaire de leur conscience. Mais, Jenny, faites attention à cet homme sournois et de mauvaise humeur ; voyez-le assis seul à une table, et tournant le dos à tout le monde. Il m’a tout l’air d’un de ces gens qui vont à l’église dans les champs ; je l’ai vu tressaillir quand il a aperçu les habits rouges, et je crois qu’il aurait volontiers passé outre, si son cheval (excellente monture) n’avait été fatigué outre mesure ; il a été forcé de s’arrêter bon gré mal gré. Servez-le avec douceur, Jenny, sans trop de bruit, et ne le faites pas jaser, de peur d’attirer sur lui l’attention des soldats ; mais ne lui donnez pas de chambre particulière, parce que si c’est quelqu’un que l’on cherche, on pourrait dire que nous voulons le cacher. Quant à vous, Jenny, je vous le répète, soyez polie avec tout le monde. Ne vous mettez pas en peine de tout ce que les jeunes gens pourront vous dire. Dans notre état, il faut savoir tout entendre ; et votre brave mère, à qui Dieu fasse paix, avait toujours la riposte prête. Mais ne souffrez pas qu’on joue des mains ; et s’il se trouvait quelque impertinent, appelez-moi. – Encore ! écoutez, lorsque la bière fera son effet sur nos buveurs, ils se mettront à parler du gouvernement et de l’église, et probablement ils se querelleront : laissez-les faire, Jenny. La colère est une passion qui altère les gosiers, et plus ils se disputeront, plus ils boiront. Mais alors vous ferez bien de leur donner de la petite bière, cela les échauffera moins, et ils ne s’en apercevront pas.
– Mais, mon père, s’ils viennent à se battre, comme cela est arrivé il y a quelque temps, ne faudra-t-il pas vous avertir ?
– Gardez-vous-en bien. Celui qui veut mettre le holà dans une bagarre attrape toujours les coups les plus durs. Si les soldats tirent leurs sabres, appelez la garde. Si les bourgeois prennent les pincettes et la pelle de la cheminée, appelez le bailli et les officiers de police ; mais sous aucun prétexte ne m’appelez jamais, moi ! Je suis éreinté d’avoir soufflé toute la journée, et je veux dîner tranquillement dans mon petit cabinet. Mais, à cette heure que j’y pense, le laird…, c’est-à-dire celui qui a été le laird de Lickitup, avait demandé un hareng saur et de la petite bière ! Tirez-le par la manche, et glissez-lui dans l’oreille que je le prie de dîner avec moi. C’était une bonne pratique autrefois, et il ne lui manque que les moyens pour qu’il le soit encore. Il boit toujours aussi volontiers. Si vous voyez quelque pauvre diable qui soit honteux faute d’argent, donnez-lui un verre de bière et un bannock, nous n’y perdrons rien ; cela met la maison en crédit. Allons ! mon enfant, contentez tout le monde ; mais d’abord servez-moi mon dîner, et apportez-moi deux pots de bonne bière et une pinte d’eau-de-vie.
Ayant ainsi donné ses instructions à Jenny son premier ministre, Niel et le ci-devant laird, jadis son patron, trop heureux aujourd’hui d’être son commensal, entrèrent dans un cabinet séparé pour passer tranquillement ensemble le reste de la soirée.
La plus grande activité régnait alors dans le département de Jenny. Les chevaliers du Perroquet avaient déjà porté la santé de leur capitaine, qui, tout en se ménageant lui-même, avait soin que rien ne manquât à ceux qu’il traitait. Leur nombre diminuait insensiblement, et les cinq ou six qui restaient encore commençaient à penser à se retirer, ce que le jeune Milnwood attendait avec quelque impatience.
À une autre table, non loin d’eux, étaient les deux dragons dont Niel avait parlé ; un brigadier et un simple soldat appartenant au régiment des gardes de Claverhouse. Les officiers non commissionnés ou sans brevet, et les simples soldats de ces corps, n’étaient point considérés comme des mercenaires ordinaires ; mais leur rang les assimilait plutôt aux mousquetaires de France, étant regardés comme des cadets qui avaient tous la perspective d’obtenir un grade s’ils se distinguaient honorablement.
On y trouvait des jeunes gens de bonne famille, ce qui ajoutait à l’orgueil de ceux qui y servaient, et augmentait l’importance qu’ils se donnaient. L’officier sans brevet dont il s’agit ici en était un exemple remarquable : son vrai nom était Francis Stuart ; mais il était généralement connu sous celui de Bothwell, parce qu’il descendait directement du dernier comte de ce titre ; non de l’amant infâme de la malheureuse reine Marie, mais de Francis Stuart, comte de Bothwell, dont l’esprit turbulent et les fréquentes conspirations troublèrent le règne de Jacques VI, roi d’Écosse, et qui mourut en exil dans la dernière misère. Le fils de ce comte avait réclamé de Charles Ier la restitution d’une partie des domaines confisqués sur son père ; mais les nobles qui en avaient profité n’étaient pas d’humeur à les rendre. Les guerres civiles achevèrent de le ruiner en lui enlevant une faible pension que lui avait accordée Charles. Son fils, après avoir servi comme soldat en pays étranger et en Angleterre, et avoir subi toutes les vicissitudes de la fortune, fut obligé de se contenter d’une place d’officier sans brevet dans le régiment des gardes, quoiqu’il appartînt réellement à la famille royale, le père de Francis Stuart, comte de Bothwell, étant fils naturel de Jacques VI. Une force de corps peu ordinaire, beaucoup de dextérité dans le maniement des armes, et la circonstance remarquable de sa naissance, avaient attiré sur lui l’attention de ses officiers ; mais son caractère avait beaucoup d’affinité avec la licence et la grossièreté des soldats, trop souvent commandés pour faire payer les amendes et les contributions imposées aux presbytériens réfractaires. Les dragons étaient tellement accoutumés à remplir ces missions, qu’ils croyaient pouvoir se permettre tout avec impunité, comme s’ils ne connaissaient d’autres lois et d’autre autorité que les ordres de leurs officiers. Dans toutes ces occasions Bothwell était toujours le plus tôt prêt.
Sans le respect qu’ils avaient pour leur cornette, qui jouait aux dés avec le ministre dans la même salle, il est probable que Bothwell et son camarade ne seraient pas restés tranquilles si long-temps ; mais, dès que l’un et l’autre furent partis, ayant été appelés pour conférer avec le magistrat de la ville sur une affaire urgente, Bothwell ne tarda pas à montrer combien il méprisait le reste de la compagnie.
– Holliday, dit-il à un dragon qui était venu s’asseoir à sa table, n’est-il pas bien étrange de voir tous ces rustres passer ici la soirée à boire, sans qu’ils aient pensé à porter la santé du roi ?
– Vous vous trompez ; j’ai entendu cette espèce de chenille verte proposer la santé de Sa Majesté.
– Oui-dà ! eh bien, Tom, il faut les faire boire à celle de l’archevêque de Saint-André ; qu’ils la boivent à genoux, encore !
– Bonne idée, pardieu ! dit Inglis, et si quelqu’un s’y refuse, nous l’emmènerons au corps-de-garde, nous lui ferons monter le cheval né d’un gland, et nous lui attacherons une paire de carabines à chaque pied pour l’y tenir en équilibre.
– Bien dit, Tom ! reprit Bothwell : et, pour procéder avec ordre, je vais commencer par ce bourru en bonnet bleu qui se tient seul dans un coin.
Il se leva sur-le-champ, et mettant son sabre encore dans le fourreau sous son bras, pour soutenir l’insolence qu’il méditait, il se plaça en face de l’étranger que Niel avait signalé dans les avis adressés à sa fille, et prenant le ton solennel et nasillard d’un prédicateur puritain : – J’ai, lui dit-il, une petite requête à présenter à Votre Gravité, c’est de remplir ce verre de la boisson que les profanes appellent eau-de-vie, et de le vider à la santé de Sa Grâce l’archevêque de Saint-André, le digne primat d’Écosse, après vous être levé de votre siége et vous être baissé jusqu’à ce que vos genoux touchent la terre.
Chacun attendait la réponse de l’étranger. Ses traits durs et farouches, ses yeux presque louches et d’une expression sinistre, la force évidente de ses membres, quoiqu’il ne fût que de moyenne taille, annonçaient un homme peu disposé à entendre la plaisanterie et à souffrir impunément une insulte.
– Et si je ne satisfais pas à votre impertinente requête, lui dit-il, qu’en pourra-t-il arriver ?
– Ce qu’il en arrivera, mon bien-aimé ? dit Bothwell avec le même accent de raillerie, c’est que je te tirerai d’abord ta protubérance nasale ; secondement, bien-aimé, j’appliquerai mon poing sur tes organes visuels ; et enfin, pour conclure, bien-aimé, je ferai tomber le plat de mon sabre sur les épaules du réfractaire.
– En vérité ! dit l’étranger, passez-moi le verre. Et le prenant, il ajouta en donnant à sa physionomie et au son de sa voix une expression singulière : – Je porte la santé de l’archevêque de Saint-André, bien digne de la place qu’il occupe en ce moment. Puisse chaque prélat d’Écosse être bientôt comme le très révérend James Sharpe !
– Eh bien ! dit Holliday d’un air de triomphe, il a subi l’épreuve.
– Oui, mais avec un commentaire, dit Bothwell : je ne comprends pas ce que veut dire ce whig tondu.
– Allons, messieurs, dit Morton, que leur insolence commençait à impatienter, nous sommes tous ici de fidèles sujets du roi, rassemblés par un jour de fête, et nous avons le droit d’espérer que nous ne serons pas troublés plus long-temps par de pareilles discussions.
Bothwell allait répliquer d’un ton bourru, mais Holliday lui rappela tout bas que la troupe avait reçu de strictes injonctions de n’insulter aucun de ceux qui seraient venus à la revue, conformément aux ordres du Conseil. Il ne put cependant se contenir tout-à-fait, et regardant Morton en face : – Fort bien, M. Perroquet, lui dit-il ; je ne veux pas troubler votre règne, qui finit, je crois, à minuit. – N’est-il pas plaisant, Holliday, ajouta-t-il en se tournant vers son camarade, que des bourgeois fassent tant d’étalage pour savoir tirer au blanc ? Il n’y a pas de femme ni d’enfant qui n’en fît autant après vingt-quatre heures d’exercice. Si M. le capitaine Perroquet ou quelqu’un de sa troupe voulait s’essayer avec moi au sabre ou à l’épée, à la rapière seule ou à la rapière et à la dague, pour une pièce d’or, au premier sang, à la bonne heure. Mais tous ces paysans, dit-il en touchant du pied le bout de l’épée de Morton, portent des armes qu’ils n’oseraient toucher… Eh bien ! s’ils voulaient seulement lutter, ou se disputer la barre de bois, ou pousser la pierre, ou jeter l’essieu, cela me serait encore égal.
La patience de Morton était à bout ; il se leva, et, regardant fièrement Bothwell, il portait la main à son épée, quand l’étranger s’avança entre eux.
– C’est une querelle, dit-il à Morton : j’ai été insulté le premier, et, au nom de la bonne cause ! je dois accepter le défi. Vous parlez de lutter, dit-il à Bothwell, voulez-vous vous hasarder contre moi ?
– Bien volontiers, enfant chéri, répliqua Bothwell ; nous lutterons jusqu’à ce qu’un de nous tombe par terre.
– Ma force vient de celui qui en est la source, répondit l’inconnu ; et tu vas servir d’exemple aux mauvais railleurs.
À ces mots, il mit bas son manteau de drap grossier et tendit son bras nerveux d’un air résolu. Le soldat ne fut point troublé par les formes robustes, la poitrine large, les épaules carrées et l’air fier de son antagoniste ; mais sifflant avec un ton d’indifférence, il déboucla son ceinturon, et se dépouilla de son uniforme. Tous les assistans les entouraient, curieux de connaître le résultat de cette lutte.
Le militaire parut d’abord l’emporter, mais sans qu’il y eût rien de décisif dans ses premiers avantages. Il était évident qu’il avait déployé toutes ses forces, au lieu que son antagoniste ménageait prudemment les siennes. Enfin celui-ci, serrant fortement Bothwell, l’enleva de terre, et le jeta si rudement sur le carreau, qu’il y resta quelques instans étourdi et sans mouvement.
– Vous avez tué mon brigadier, s’écria son camarade Holliday en tirant son sabre, et par tout ce qu’il y a de plus sacré, vous m’en ferez raison !
– Arrêtez ! dirent Morton et les autres, tout s’est passé dans les règles, et votre camarade n’a trouvé que ce qu’il a cherché.
– Cela est vrai, dit Bothwell en se relevant ; rengaînez votre lame, Tom ; je ne croyais pas que le plus fier plumet du régiment des gardes serait jeté sur le plancher d’un misérable cabaret par un tondu de puritain ! Et serrant fortement la main de l’étranger : – L’ami, lui dit-il, nous nous retrouverons quelque jour, et nous jouerons alors un jeu un peu plus sérieux.
– Et quand ce moment arrivera, dit l’étranger en lui serrant la main à son tour, je vous promets que lorsque je vous aurai renversé, vous ne vous relèverez pas si facilement.
– Fort bien, bien-aimé ! dit Bothwell ; si tu es un puritain, tu ne manques au moins ni de force ni de courage. Je le souhaite bien du bonheur ; mais, crois-moi, décampe sur ton bidet avant que le cornette vienne faire sa ronde, car il a fait arrêter plus d’un drôle qui avait l’air moins suspect que toi.
L’étranger pensa probablement que cet avis n’était pas à dédaigner, car il paya son écot, et, courant à l’écurie, sella lui-même son cheval noir, à qui le repos et le fourrage avaient rendu ses forces, et comme il sortait il rencontra Morton.
– Je vais du côté de Milnwood, lui dit-il, voulez-vous me permettre de profiter de votre compagnie ?
– Volontiers dit Morton, quoiqu’il trouvât dans la physionomie farouche de cet homme quelque chose qui lui répugnait au fond du cœur.
Les compagnons de Morton, après s’être dit adieu amicalement, se séparèrent dans diverses directions. Quelques uns l’accompagnèrent pendant un mille, mais enfin Morton et l’étranger se trouvèrent seuls.
La compagnie avait à peine quitté la taverne de Niel Blane, qu’on entendit le bruit des tambours et le son des trompettes. Les soldats de la compagnie du régiment des gardes se rassemblèrent précipitamment sur la place du marché. Le cornette Grahame entra chez Niel, accompagné du prévôt de la ville, avec six soldats et des agens de la police municipale armés de hallebardes.
– Qu’on garde les portes, que personne ne sorte. – Tels furent les premiers mots du cornette. – Eh bien ! Bothwell, n’avez-vous pas entendu le boute-selle ?
– Il allait rentrer au quartier, mon lieutenant, dit Holliday, il vient de faire une mauvaise chute.
– Dans une dispute, sans doute, dit Grahame. Bothwell, si vous négligez ainsi votre devoir, votre sang royal ne vous exemptera pas de punitions.
– Et comment ai-je négligé mon devoir ? répondit Bothwell d’un air chagrin.
– Vous auriez dû être au quartier, brigadier Bothwell ; vous avez perdu une occasion d’or. Le carrosse de l’archevêque de Saint-André a été arrêté ce matin par une bande de wighs rebelles, qui l’ont assassiné près de la ville de Saint-André dans la plaine de Magus-Moor.
Tous restèrent épouvantés en entendant cette nouvelle.
– Voici les signalemens, continua l’officier, et une proclamation par laquelle on promet mille marcs de récompense à quiconque arrêtera l’un des assassins.
– L’épreuve, l’épreuve de mon homme et le commentaire ! dit Bothwell à Holliday. Je comprends à présent ce qu’il voulait dire ! pourquoi ne l’avons-nous pas arrêté ? – À cheval, Holliday, à cheval ! Cornette, un des assassins n’est-il pas un homme carré, vigoureux, un nez en bec de faucon ?….
– Un moment, dit Grahame, j’ai leur signalement. Lisons. Haxton de Rathillet, grand, maigre, cheveux noirs….
– Ce n’est pas mon homme, interrompit Bothwell.
– John Balfour, dit Burley, cinq pieds huit pouces, nez aquilin, cheveux roux.
– C’est lui, c’est lui-même ! louchant d’un œil ? s’écria Bothwell.
– Oui, et montant un cheval noir enlevé au primat assassiné, continua Grahame.
– C’est bien cela ! dit Bothwell. Il n’y a pas un quart d’heure qu’il était ici.
Quelques nouvelles informations achevèrent de les convaincre que l’étranger si réservé et si farouche était réellement Balfour de Burley, chef de la bande d’assassins qui, dans leur zèle aveugle, venaient de tuer le malheureux primat d’Écosse. Ils l’avaient rencontré par hasard ; leur fanatisme leur avait persuadé que c’était une victime que le Seigneur, selon leur expression, livrait entre leurs mains, et ils l’avaient massacré de sang-froid.
– À cheval, mes amis ! vite à cheval ! s’écria Grahame ; à sa poursuite ! la tête de l’assassin vaut son pesant d’or.