CHAPITRE XVI.

« Fer et bâton se heurtent avec bruit. »

HUDIBRAS.

Le cornette Grahame descendit la hauteur portant à la main son drapeau blanc improvisé ; il sifflait joyeusement un air qu’accompagnait le pas de son cheval bien dressé. Le trompette le suivait. Des deux flancs de la petite armée presbytérienne se détachaient cinq ou six cavaliers qui ressemblaient à des officiers. Ils se réunirent dans le centre, et s’avancèrent ensemble vers le fossé. Le cornette se dirigea vers ce groupe en gardant toujours la rive opposée. Les deux partis avaient les yeux fixés sur lui, et des deux côtés, sans faire tort au courage d’aucun parti, on désirait sans doute que cette ambassade put prévenir la querelle sanglante qu’on prévoyait.

Lorsque Grahame fut arrivé en face des cavaliers qui, en venant recevoir son message, semblaient se désigner comme les chefs de l’ennemi, il fit sonner de la trompette pour demander une entrevue. Les insurgés n’ayant aucun instrument de musique militaire pour lui répondre, l’un d’eux fit quelques pas en avant, et lui demanda d’un ton brusque pourquoi il s’approchait de leurs rangs.

– Pour vous sommer, dit Grahame, au nom du roi, et du colonel Grahame de Claverhouse, investi spécialement des pouvoirs du très honorable conseil privé d’Écosse, de mettre bas les armes, et de congédier tous ceux que vous avez excités à la révolte en opposition aux lois de Dieu, du roi et du pays.

– Retourne vers ceux qui t’envoient : dis-leur que nous sommes en armes pour maintenir le Covenant et une Église persécutée. Dis-leur que nous renonçons au licencieux et parjure Charles Stuart, que vous appelez roi, comme il a renoncé au Covenant, qu’il avait juré de soutenir de tout son pouvoir, réellement, constamment et sincèrement, tous les jours de sa vie, sans avoir d’autres amis que les amis du Covenant, et d’autres ennemis que ses ennemis. Loin de tenir au serment qu’il avait fait devant Dieu et les anges, son premier pas, après son retour dans ses royaumes, a été d’usurper la prérogative du Très-Haut par l’acte infâme de la suprématie, et en expulsant arbitrairement et sans procédure judiciaire des centaines de fidèles prédicateurs fameux, pour arracher le pain de vie de la bouche des pauvres créatures affamées, et les forcer de se nourrir du mets insipide des quatorze prélats intrus et de leurs desservans, sycophantes charnels et scandaleux.

– Je ne suis pas venu pour vous entendre prêcher, dit l’officier, mais pour savoir en un mot si vous voulez vous disperser sous la condition d’un pardon général, dont on n’excepte que les assassins de l’archevêque de Saint-André, ou si vous préférez attendre l’attaque des troupes de Sa Majesté, qui vont tomber à l’instant même sur vous.

– Eh bien, en un mot, nous sommes tous ici avec nos épées sur la cuisse, comme des sentinelles vigilantes. Nous aurons tous des intérêts communs, comme des frères unis par la justice ; quiconque nous attaquera dans notre bonne cause… eh bien ! que son sang retombe sur sa tête. Retourne vers ceux qui t’ont envoyé. Puisse Dieu vous éclairer sur vos mauvaises voies.

– Ne vous nomme-t-on pas Balfour de Burley ? dit Grahame, qui commençait à se souvenir qu’il avait vu quelque part l’homme qui prenait la parole.

– Et quand cela serait, qu’aurais-tu à lui dire ?

– Que comme vous êtes exclu du pardon que je suis chargé d’offrir au nom du roi et de mon commandant, ce n’est point pour traiter avec vous et vos pareils, mais avec ces gens de la campagne, que je suis envoyé.

– Tu es encore jeune, ami, et tu ne connais pas ton métier. Tu devrais savoir qu’on ne peut traiter avec une armée que par l’entremise de ses chefs, et qu’un parlementaire qui agit autrement perd ses droits à son sauf-conduit.

En parlant ainsi, il prit sa carabine et l’arma.

– Les menaces d’un meurtrier ne m’empêcheront pas de remplir mon devoir. Braves gens, au nom du roi et de mon pays, écoutez, cria-t-il en élevant la voix : je proclame un pardon général au nom du roi et de mon chef commandant, si vous mettez bas les armes, excepté…

– Je t’ai averti, dit Burley en le couchant en joue.

– Pardon général, continua Grahame, excepté…

– Que Dieu fasse grâce à ton âme, dit Burley ; amen ! et il lâcha la détente de sa carabine.

Le coup fut mortel. Le cornette Richard Grahame tomba du cheval, s’écria : – Ma pauvre mère ! – et ferma les yeux pour ne plus les rouvrir. Son cheval effrayé prit la fuite au galop vers le régiment, suivi par le trompette non moins épouvanté.

– Qu’avez-vous fait ? dit un de ceux qui accompagnaient Burley.

– Mon devoir, répondit-il d’un ton ferme. Frappe pour montrer ton zèle, a dit l’Écriture. Que l’un d’eux à présent ose venir nous parler de pardon.

Claverhouse vit tomber son neveu ; jetant sur Evandale un coup d’œil qui annonçait une émotion qu’on ne peut décrire, il lui dit : – Vous voyez ! – Et ses traits reprirent au même instant leur sérénité ordinaire.

– Je le vengerai ou je périrai, s’écria lord Evandale ; et, excitant son cheval de l’éperon, il descendit de la montagne au grand galop, suivi de toute sa compagnie et de celle de Grahame, qui partit sans recevoir d’ordre.

– Halte ! s’écria Claverhouse, halte ! cette précipitation nous perdra ; – et se jetant l’épée à la main au-devant du second corps, ce ne fut pas sans peine qu’il parvint, à force de prières et de menaces, à l’empêcher de suivre cet exemple contagieux.

Dès qu’il vit les dragons rentrés dans la subordination, – Allan, dit-il au major, conduisez la seconde ligne au pas vers le bas de la montagne, pour soutenir lord Evandale, qui va avoir besoin de secours. Bothwell, tu es un drôle brave et entreprenant.

– Oui-dà ! dit Bothwell entre ses dents, vous vous en souvenez en ce moment !

– Prends dix hommes avec toi, tâche de tourner le marais, et attaque les ennemis en flanc, tandis que nous les combattrons de front.

Bothwell partit à l’instant pour exécuter ces ordres.

Comme Claverhouse l’avait prévu, la troupe de lord Evandale, qui était descendue avec impétuosité dans le marais, ne tarda pas à être arrêtée par les difficultés que le terrain opposait à sa marche. L’endroit où ils se trouvaient était une espèce de bourbier fangeux dans lequel leurs chevaux ne pouvaient avancer. Les uns cherchaient à pousser en avant vers le fossé, les autres s’écartaient sur les côtés, tous dans l’espoir d’arriver sur un terrain plus solide. Enfin, dès qu’ils furent à une portée de fusil, le feu des insurgés fit tomber une vingtaine de cavaliers, ce qui augmenta encore le désordre.

Pendant ce temps lord Evandale, à la tête d’un petit nombre de cavaliers bien montés, avait trouvé le moyen dépasser le fossé ; mais, dès qu’il l’eut traversé, il fut chargé par le corps de cavalerie qui se trouvait sur le flanc gauche de l’infanterie des insurgés ; ceux-ci, encouragés par la faiblesse du détachement qui accompagnait Evandale, tombèrent sur lui avec fureur, en criant : – Malheur aux Philistins incirconcis ! Périsse Dagon et ses adorateurs !

Le jeune capitaine combattit comme un lion ; mais la plupart de ceux qui l’avaient suivi étaient tués, et il aurait partagé le même sort si Claverhouse, qui venait d’arriver au bord du fossé avec le reste du régiment, n’eût fait faire un feu bien nourri sur l’ennemi, qui commença à plier ; lord Evandale, profitant de ce moment pour se dégager, rejoignit le colonel avec les hommes qui lui restaient.

Malgré la perte que le feu du régiment venait de faire éprouver aux insurgés, leurs chefs n’en voyaient pas moins tout l’avantage que leur donnait leur nombre et surtout leur position, et ils restaient convaincus qu’avec du courage et de la persévérance ils seraient infailliblement victorieux. Ils parcouraient donc les rangs de leurs soldats, les exhortaient à tenir ferme, et dirigeaient un feu soutenu contre les dragons.

Claverhouse fit plusieurs tentatives pour passer le fossé, afin de pouvoir engager le combat sur un terrain moins défavorable, mais il lui fut impossible de réussir.

– Il faudra faire retraite, dit-il à lord Evandale, à moins que la diversion de Bothwell ne nous favorise. En attendant, faites retirer le régiment hors de portée, et placez derrière ces buissons des tirailleurs pour inquiéter l’ennemi et le tenir en haleine.

Ces ordres ayant été exécutés, il attendait avec impatience l’instant où Bothwell commencerait son attaque. Mais Bothwell avait trouvé aussi des difficultés à combattre ; le mouvement qu’il avait fait n’avait pas échappé à la pénétration de Burley, qui en avait fait faire un semblable à son corps de cavalerie de l’aile droite ; de sorte que, lorsque le brigadier eut tourné le marais et passé le ruisseau, il s’aperçut qu’il avait en face un ennemi trois fois plus nombreux. Cet obstacle inattendu ne l’arrêta pas un instant.

– En avant, mes amis ! dit-il à sa troupe ; qu’il ne soit pas dit que nous aurons reculé devant cette bande de misérables têtes rondes !

Et, comme inspiré par l’esprit de ses ancêtres, il cria à haute voix : – Bothwell ! Bothwell ! et chargeant avec impétuosité la cavalerie ennemie, il la força de reculer à une portée de pistolet, et tua trois hommes de sa propre main.

Burley, prévoyant les suites funestes qu’aurait pour son parti un échec sur ce point, et sentant combien les troupes régulières avaient d’avantages, même sur le nombre, par une plus grande adresse dans le maniement des armes, courut à Bothwell, et l’attaqua corps à corps. Chacun des combattans était regardé comme le principal champion de sa troupe, et il en résulta un événement plus rare dans l’histoire que dans les romans. Les soldats s’arrêtèrent des deux côtés, comme si de l’issue de ce combat singulier dépendait celle de la bataille. Bothwell et Burley semblaient partager la même opinion ; car, après quelques instans de combat, ils s’arrêtèrent, comme d’un commun accord, pour reprendre haleine, et se préparer à un duel dans lequel chacun deux reconnaissait qu’il avait trouvé un adversaire digne de lui.

– Tu es le meurtrier Burley, dit Bothwell en brandissant son sabre et en grinçant les dents : tu m’as échappé une fois, mais aujourd’hui (ajouta-t-il en faisant un serment que nous n’osons répéter) je pendrai à ma selle ta tête, qui vaut son pesant d’or, ou mon cheval s’en ira sans son maître.

– Oui, dit Burley en jetant sur lui un regard farouche, oui, je suis ce John Balfour qui t’a promis que lorsqu’il t’aurait renversé, tu ne te relèverais pas. Que Dieu fasse retomber cette menace sur moi, si je ne tiens pas ma parole.

– Hé bien, un lit dans la fougère ou mille marcs d’argent ! dit Bothwell en lui portant un coup de sabre.

– L’épée du Seigneur et de Gédéon est avec moi, dit Burley en parant le coup et l’attaquant à son tour.

Jamais peut-être on n’avait vu de combat aussi égal. On voyait dans les deux adversaires la même force de corps, le même courage, la même animosité ; ils maniaient leurs armes avec la même adresse, et gouvernaient leurs chevaux avec la même dextérité. Ils se firent réciproquement plusieurs blessures, dont aucune n’était dangereuse. Enfin le sabre de Bothwell s’étant malheureusement brisé, il s’élança avec fureur sur son ennemi, le saisit par le baudrier, le fit tomber de son cheval, et fut entraîné avec lui dans sa chute. Les compagnons de Burley accoururent à son secours, mais les dragons les repoussèrent, et l’engagement devint général. Les chevaux passèrent à plusieurs reprises sur le corps des deux combattans, plus que jamais acharnés l’un contre l’autre, et qui, l’écume à la bouche, cherchaient à se déchirer et à s’étouffer, avec la rage de deux boule-dogues dressés au combat. Enfin le pied d’un cheval cassa le bras droit du brigadier, qui lâcha prise avec un gémissement étouffé ; puis les deux combattans se relevèrent. Le bras de Bothwell pendait désarmé à son côté ; sa main gauche voulut saisir son poignard, mais il était tombé du fourreau. Restant donc tout-à-fait sans défense, Bothwell jeta sur Burley un regard plein de rage et de désespoir ; celui-ci, avec un sourire farouche, brandit son épée, et la passa au travers du corps de son adversaire. Bothwell reçut le coup sans tomber. Il ne chercha plus à se défendre ; mais, regardant Balfour avec l’expression de la haine, il s’écria :

– Applaudis-toi, misérable rustre, tu as versé le sang des rois.

– Meurs, dit Balfour en le perçant une seconde fois, meurs, chien altéré de sang ! meurs comme tu as vécu ! meurs comme les bêtes farouches, sans rien croire, sans rien espérer !…

– Et sans rien CRAINDRE, ajouta Bothwell. Ces paroles furent son dernier effort. Il tomba en les prononçant, et il expira.

Saisir un coursier par la bride, se mettre en selle et voler au secours des siens, fut pour Burley l’affaire d’un moment. La chute de Bothwell avait augmenté leur courage autant qu’elle avait diminué la confiance des dragons ; le succès ne fut plus disputé. Une partie des soldats furent tués, les autres prirent la fuite, et se sauvèrent de différens côtés dans le marais. Burley défendit qu’on les poursuivit, et, ralliant son parti, traversa à son tour le fossé, pour exécuter contre Claverhouse la même manœuvre que celui-ci avait commandée contre lui. Il envoya un cavalier porter aux insurgés la nouvelle de l’avantage qu’il venait de remporter, leur fit donner ordre de passer le fossé et de commencer une attaque générale, en les exhortant, au nom du ciel, à franchir le marécage et à achever l’œuvre glorieuse du Seigneur.

Pendant ce temps, Claverhouse avait réparé la confusion, résultat d’une première attaque qui avait été aussi malheureuse qu’irrégulière. Les tirailleurs qu’il avait placés derrière des buissons fatiguaient l’ennemi par un feu continuel et bien dirigé, et il attendait l’effet de la diversion que devait opérer Bothwell, pour faire marcher tout le régiment contre les insurgés.

En ce moment un dragon, couvert de sang et de sueur, et dont le cheval, hors d’haleine, prouvait assez qu’il n’était pas venu au pas, se présenta devant lui.

– Qu’y a-t-il de nouveau, Holliday ? lui dit le colonel, qui connaissait par leur nom tous les hommes de son régiment : où est Bothwell ?

– Mort, dit Holliday, et plus d’un brave avec lui.

– Le roi a donc perdu un brave soldat, dit Claverhouse avec son sang-froid ordinaire ; l’ennemi a sans doute franchi le marais ?

– Avec un fort parti de cavalerie commandé par ce diable incarné qui a tué Bothwell, dit le soldat effrayé.

– Paix, dit Claverhouse, paix ! je vous défends d’en parler à qui que ce soit… Major Allan, il faut faire retraite ; la nécessité nous y contraint… Lord Evandale, rappelez les tirailleurs. Formez le régiment en trois corps. Allan commandera le premier, vous resterez au centre, et moi, avec l’arrière-garde, je tiendrai ces coquins en échec jusqu’à ce que vous ayez regagné le plateau de la montagne. Ne perdez pas de temps, je vois toute leur ligne en mouvement, et ils s’apprêtent sûrement à passer le fossé.

– Mais que deviendront Bothwell et son détachement ? dit lord Evandale.

– On en a disposé, dit le colonel ; et, se penchant à l’oreille de lord Evandale : Bothwell, ajouta-t-il, est maintenant au service d’un autre maître… Allons, messieurs, ne perdez pas de temps, formez le régiment. Une retraite est une chose toute nouvelle pour nous, mais nous prendrons notre revanche un autre jour.

Allan et Evandale allaient remplir leur mission ; mais au moment où, par leur ordre, le régiment se partageait en deux corps pour opérer la retraite, un nombre considérable d’insurgés avaient franchi le fossé, pendant que les dragons étaient encore en désordre. Claverhouse, qui avait gardé près de sa personne quelques uns de ceux de ses soldats qu’il connaissait pour les plus braves, chargea l’ennemi à leur tête, et le reste du régiment eut le temps de commencer sa retraite ; plusieurs des rebelles furent tués, d’autres repoussés vers le marais.

Mais l’avant-garde de ces derniers reçut bientôt du renfort, et Claverhouse fut forcé de suivre ses troupes mises en déroute.

Jamais homme ne soutint mieux sa réputation de bravoure : remarquable par son coursier noir et son panache blanc, il était à la tête de toutes les charges qu’il ordonnait à chaque occasion favorable pour arrêter les vainqueurs et couvrir la retraite des siens. Il servait de but à toutes les balles ; mais on aurait dit qu’il était également impassible et invulnérable. Les superstitieux fanatiques, qui le regardaient comme doué par le malin esprit de moyens surnaturels de défense, disaient qu’on voyait les balles qui frappaient ses bottes et son pourpoint, rejaillir comme la grêle qui tombe sur un rocher de granit. Quelques uns brisaient même des pièces d’argent pour en charger leurs fusils, espérant que peut-être ce métal atteindrait le persécuteur de leur sainte Église.

– Éprouvez-le à l’arme blanche, s’écriait-on à chaque décharge. – La poudre n’a aucun pouvoir sur lui. Autant vaudrait tirer sur le Vieil Ennemi lui-même ! Mais vainement répétait-on tout haut ces paroles, tel était l’effroi que Claverhouse inspirait aux insurgés, qu’ils ouvraient leurs rangs à son approche ; et aucun n’osait se mesurer avec lui le fer à la main. Il combattait pourtant avec tout le désavantage que donne une retraite faite en désordre.

Les soldats, voyant derrière lui le grand nombre de presbytériens qui avaient dépassé le marais, rompirent leurs rangs ; à chaque nouvelle manœuvre, le major Allan et Evandale trouvaient plus difficile leur tâche de maintenir le bon ordre. En approchant du plateau élevé d’où ils étaient descendus pour leur malheur, l’épouvante devint presque panique. Chacun était impatient de mettre le sommet de la montagne entre soi et le feu continuel des presbytériens. Aucun n’aurait voulu se sacrifier pour les autres. Plusieurs prirent la fuite au galop, et les officiers avaient à craindre que bientôt cet exemple ne fût suivi de tous.

Au milieu de cette scène de tumulte et de confusion, des plaintes des blessés, des acclamations du triomphe, du bruit d’un feu roulant de mousqueterie, Evandale ne put s’empêcher de remarquer l’air calme que conservait le colonel. En déjeunant le matin chez lady Marguerite, il n’avait pas l’air plus tranquille. Il s’était approché d’Evandale pour donner ses ordres et renforcer son arrière-garde de quelques hommes de bonne volonté.

– Encore quelques minutes, dit-il, ces coquins nous laisseront, à vous, au vieux Allan et à moi, l’honneur de combattre seuls. Il faut que je disperse les fusiliers qui nous importunent de si près, ou nous serons couverts de honte. Ne cherchez pas à me secourir, si vous me voyez succomber ; mais tenez-vous à la tête de vos dragons. Tirez-vous d’ici comme vous pourrez, au nom de Dieu, et dites au roi et au conseil privé que je suis mort en faisant mon devoir.

Ce disant, il se fit suivre par une vingtaine de braves, et fit à leur tête une charge si vive et si peu attendue, qu’il porta le désordre dans les premiers rangs des ennemis, qu’il força de reculer à quelque distance. Dans la confusion de cette attaque, il distingua Balfour, et, désirant frapper ses adhérens de terreur, il lui porta sur la tête un coup si vigoureux, qu’il fendit l’espèce de casque qui le couvrait et le renversa de cheval, étourdi quoique non blessé. On ne manqua pas depuis de trouver merveilleux qu’un homme aussi fort que Balfour de Burley eût succombé sous le coup de Claverhouse, si faiblement constitué en apparence ; et, par conséquent, le vulgaire attribua à un secours surnaturel l’effet de cette énergie que peut donner le courage seul à un plus faible bras. Claverhouse cependant s’était trop avancé dans cette dernière charge, et il se trouva en ce moment complètement entouré.

Lord Evandale vit le danger de son commandant : ses dragons avaient fait une halte pendant que ceux qui étaient sous les ordres du major se mettaient en marche. Oubliant les ordres contraires de Claverhouse, il ordonna à sa troupe de descendre la hauteur et de dégager leur colonel. Les uns obéirent, les autres prirent la fuite vers la montagne ; mais, à la tête de ceux qui voulurent bien le suivre, il dégagea Claverhouse. Il était temps que ce secours arrivât : le cheval du colonel venait d’être blessé d’un coup de faux par un paysan qui se disposait à lui en porter un second, quand Evandale le renversa.

Lorsqu’ils furent sortis de la mêlée, ils regardèrent autour d’eux. La division d’Allan avait quitté la montagne : l’autorité de cet officier avait été insuffisante pour retenir les fuyards. Celle d’Evandale était dispersée de tous côtés.

– Qu’allons-nous faire, colonel ? dit lord Evandale.

– Nous sommes restés les derniers sur le champ de bataille, dit le colonel. Hector lui-même dirait qu’il n’y a pas de honte à fuir quand on a bien combattu, et qu’on est un contre vingt. Sauvez-vous, mes enfans, et ralliez-vous le plus tôt possible… Allons, milord, un temps de galop, nous aussi.

En parlant ainsi, il donna un coup d’éperon à son cheval ; et ce généreux animal, oubliant sa blessure, sembla redoubler d’ardeur, malgré le sang qu’il perdait, comme s’il eût su que le salut de son maître dépendait de la vitesse de sa course.

Quelques officiers et quelques soldats le suivirent en désordre. La fuite de Claverhouse fut le signal donné aux derniers combattant de ne plus prolonger une vaine résistance, et de céder le champ de bataille aux insurgés victorieux.

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