Chapitre XXVII.

Aussi loin que pouvait atteindre votre vue,
La terre était aride et d’arbres dépourvue :
À peine un seul oiseau traversait l’horizon.
Dans ces lieux où jadis roucoulait le pigeon
Et qu’animait aussi l’abeille bourdonnante,
Règne un silence affreux, et l’onde y est stagnante :
Plus de ruisseaux courant sur un lit de cailloux
Dont l’écho répétait le murmure si doux.
COLERIDGE,Prédiction de la Famine.

Nous étions dans la saison de l’été. M. Jarvie ne demeurait qu’à quelques pas de mistress Flyter ; j’avais donné ordre à André de m’attendre à sa porte à cinq heures précises avec nos deux chevaux, et je ne manquai pas de m’y trouver. La première chose que je remarquai en arrivant fut que le cheval donné si généreusement par le clerc Touthope à son client M. Fairservice, en échange de la jument de Thorncliff, était encore, quelque mauvais qu’il fût, un Bucéphale en comparaison de celui contre lequel il avait trouvé le secret de l’échanger. Il avait bien ses quatre pieds ; mais il était tellement boiteux que trois seulement paraissaient destinés à le soutenir et que le quatrième, brandillant en l’air, ne semblait être là que pour leur servir de pendant.

– À quoi pensez-vous de m’amener un animal semblable ? lui demandai-je avec impatience ; qu’est devenu le cheval sur lequel vous êtes venu à Glascow ?

– Je l’ai vendu, monsieur ; il était poussif, et il aurait mangé gros comme sa tête d’argent s’il était resté dans l’écurie de mistress Flyter. J’ai acheté celui-ci pour le compte de Votre Honneur. C’est un marché d’or : il ne coûte qu’une livre sterling par jambe, c’est-à-dire quatre. On dirait qu’il boite, mais il n’y paraîtra plus quand il aura fait un mille. C’est un trotteur bien connu, on l’appelle Souple-Tam.

– Sur mon âme ! André, vous ne serez content que quand ma houssine aura fait connaissance avec vos épaules. Si vous n’allez chercher à l’instant l’autre cheval, je vous jure que vous porterez la peine de votre impudence.

André, malgré mes menaces, ne se pressait pas de m’obéir. Il me dit qu’il lui en coûterait une guinée de dédit pour rompre le marché qu’il avait fait, et quoique je visse bien que le coquin me prenait pour dupe, j’allais, en véritable Anglais, sacrifier de l’argent plutôt que de perdre du temps, quand M. Jarvie parut à sa porte. Il était botté et couvert d’un manteau à capuchon, comme s’il se fût préparé à un hiver de Sibérie, et nous étions dans le temps de la moisson. Deux de ses commis, précédés par Mattie, conduisaient le coursier sage et paisible qui avait l’honneur de porter le digne magistrat dans ses excursions. Avant de se mettre en selle, il me demanda pour quelles raisons je grondais mon domestique, et ayant appris la manœuvre d’André, il coupa court à tout débat en prononçant que s’il ne rendait sur-le-champ son animal tripède à celui de qui il prétendait l’avoir acheté et s’il ne représentait le quadrupède plus utile qu’il avait disgracié, il l’enverrait en prison et le condamnerait à une amende de la moitié de ses gages. – M. Osbaldistone, lui dit-il, vous paie pour votre service et pour celui de votre cheval, pour le service de deux bêtes, entendez-vous, pendard ? J’aurai l’œil sur vous pendant le voyage.

– Cela ne servirait à rien de me mettre à l’amende, dit André d’un ton d’humeur, je n’ai pas le premier sou pour payer. On ne peut prendre les culottes d’un Highlander.

– Mais vous avez au moins une carcasse qu’on peut mettre en prison, et j’aurai soin qu’on vous y traite comme vous le méritez.

André fut donc obligé de se soumettre aux ordres de M. Jarvie, et il partit en murmurant entre ses dents : – Mal prend d’avoir tant de maîtres, comme disait la grenouille à la herse dont chaque coup de dent la blessait.

Il paraît qu’il ne trouva pas beaucoup de difficulté à se débarrasser de Souple-Tam et à reprendre possession de son ancienne monture, car l’échange fut effectué en quelques minutes, et jamais il ne me parla de l’argent qu’il prétendait avoir eu à payer à titre de dédit.

Nous partîmes enfin ; mais nous n’étions pas au bout de la rue dans laquelle M. Jarvie demeurait que nous entendîmes derrière nous de grands cris : Arrêtez ! arrêtez ! Nous fîmes halte à l’instant, et nous vîmes accourir à toutes jambes les deux commis du banquier qui lui apportaient deux derniers gages du zèle et de l’attachement de Mattie : l’un était un immense mouchoir de soie qui aurait pu servir de voile à un des bâtiments qu’il envoyait aux Indes occidentales, et que mistress Mattie l’engageait à mettre autour de son cou, par-dessus sa cravate, ce qu’il ne manqua pas de faire ; l’autre était une recommandation verbale de la part de la femme de ménage, qu’il eût bien soin de ne pas se fatiguer. Je crus remarquer que le jeune homme chargé de cette dernière commission avait grande peine à s’empêcher de rire en s’en acquittant. – C’est bon ! c’est bon ! répondit M. Jarvie : dites-lui qu’elle est folle. Cela prouve pourtant un bon cœur, ajouta-t-il en se tournant vers moi. Mattie est une femme attentive, quoiqu’elle soit encore bien jeune. En parlant ainsi, il pressa les flancs de son coursier, et nous nous trouvâmes bientôt hors des murs de Glascow.

Tandis que nous cheminions sur une assez belle route qui nous conduisait au nord-est de la ville, j’eus occasion d’apprécier et d’admirer les bonnes qualités de mon nouvel ami. Quoique, de même que mon père, il estimât le commerce comme l’objet le plus important de la vie humaine, cependant il n’en était pas engoué au point de mépriser toute autre connaissance. Au contraire, malgré la manière bizarre et souvent triviale dont il s’exprimait, malgré une vanité d’autant plus ridicule qu’il cherchait à la cacher sous un voile d’humilité bien transparent ; enfin, quoiqu’il fût dépourvu de tous les avantages qui résultent d’une éducation soignée, M. Jarvie, dans sa conversation, prouvait à chaque instant qu’il avait l’esprit observateur, juste, libéral, et même aussi cultivé que les circonstances le lui avaient permis. Il connaissait assez bien les antiquités locales, et il me racontait les événements mémorables qui s’étaient passés dans les lieux que nous traversions. Il n’était pas moins instruit dans l’histoire ancienne de sa ville natale, et sa sagacité entrevoyait déjà dans l’avenir les avantages dont elle ne devait jouir que bien des années après. Je remarquai aussi, et avec grand plaisir, que, quoiqu’il fût écossais dans la force du terme, il n’en était pas moins disposé à rendre justice à l’Angleterre. Lorsque André, que le bailli, soit dit en passant, ne pouvait souffrir, imputait le moindre accident qui nous arrivait, comme, par exemple, celui d’un cheval qui se déferrait, à l’influence fatale de l’union de l’Écosse à l’Angleterre, M. Jarvie jetait sur lui un regard sévère et lui disait :

– Paix, monsieur, paix ! Ce sont de mauvaises langues, comme la vôtre, qui répandent des semences de haine entre les voisins et les nations. Il n’y a rien de si bien qui ne puisse être mieux, et c’est ce qu’on peut dire de l’acte d’Union. Nulle part on ne s’est prononcé contre elle d’une manière plus décidée qu’à Glascow ; nous avons eu des rassemblements, des séditions, des soulèvements : mais c’est un bien mauvais vent que celui qui n’est bon pour personne. Il faut prendre les choses comme on les trouve. Depuis le temps où saint Mungo pêchait des harengs dans la Clyde jusqu’à nos jours, avait-on vu le commerce étranger fleurir à Glascow ? Il ne faut donc pas maudire l’Union, puisque c’est elle qui nous a ouvert le chemin de l’Amérique.

André Fairservice n’était pas homme à se rendre à ce raisonnement ; il fit même une espèce de protestation en grommelant entre ses dents. – C’était un triste changement que de voir faire en Angleterre des lois pour l’Écosse ! Quant à lui, il ne voudrait pas, pour tous les barils de harengs de Glascow ni pour tout le sucre et tout le café des colonies, avoir renoncé au parlement d’Écosse et envoyé notre couronne, notre épée, notre sceptre et notre argent en Angleterre, pour être gardés dans la Tour de Londres par ces mangeurs de plum-puddings. Qu’est-ce que sir William Wallace ou le vieux sir David Lindsay auraient dit de l’Union et de ceux qui y ont consenti ?

La route sur laquelle nous voyagions pendant ces discussions avait pris un aspect plus agreste à deux milles de Glascow, et plus nous avancions, plus le pays me paraissait sauvage. Devant, derrière et autour de nous s’étendaient de continuelles et vastes bruyères, dont la désespérante aridité tantôt offrait aux regards un espace de terrain plat et coupé par des flaques d’eau qui se cachent sous une verdure perfide ou sous une tourbe noire, et qu’on appelle peat-bogs en Écosse, tantôt formait des élévations énormes qui manquaient de la dignité des montagnes, quoique plus pénibles encore à gravir pour le voyageur. Pas un arbre, pas un buisson ne reposait l’œil fatigué de ce sombre tableau d’une stérilité uniforme. La bruyère elle-même était de cette espèce rabougrie qui ne parvient tout au plus qu’à une floraison imparfaite, et qui, autant que je puis le savoir, couvre la terre de son vêtement le plus commun par sa qualité et sa nuance. Aucun être vivant ne s’offrit à nos regards, si ce n’est quelques moutons dont la laine était d’une étrange diversité de couleur, noire, bleue et orange ; c’était principalement sur leurs têtes et leurs jambes que le noir dominait. Les oiseaux mêmes semblaient fuir ce désert, d’où ils auraient eu peine à s’échapper, et je n’y entendis que le cri monotone et plaintif du vanneau et du courlis.

Cependant au dîner, que nous fîmes dans le plus misérable des cabarets, nous eûmes le bonheur de reconnaître que ces oiseaux criards n’étaient pas les seuls habitants des bruyères. La vieille bonne femme nous dit que le bonhomme avait été à la montagne, et cela fut très heureux pour nous, car elle nous servit les produits de sa chasse, sous la forme de quelque oiseau en grillades. Elle y joignit du saumon salé, du fromage de lait de vache et du pain d’avoine ; c’était tout ce que sa maison pouvait fournir. De la bière très ordinaire, dite two penny , et un verre de très bonne eau-de-vie complétèrent notre repas ; et, comme nos chevaux avaient fait le leur en même temps, nous nous remîmes en route avec une nouvelle ardeur.

J’aurais eu besoin de toute la gaieté que peut inspirer le meilleur dîner pour résister au découragement qui s’emparait insensiblement de moi quand j’associais dans ma pensée l’étrange incertitude du succès de mon voyage avec l’aspect de désolation que présentait le pays que nous parcourions. En effet nous traversâmes des déserts encore plus mornes, encore plus tristes et plus sauvages, s’il est possible, que ceux que nous avions vus dans la matinée. Les misérables huttes qui, çà et là, annonçaient l’existence de quelques créatures humaines, devenaient plus rares à mesure que nous avancions, et quand nous commençâmes à gravir un terrain d’une élévation progressive, elles disparurent tout à fait.

Enfin nous aperçûmes bien loin de nous sur la gauche une chaîne de montagnes qui semblaient d’un bleu foncé. Elles s’étendaient du nord au nord-ouest, et occupèrent toute mon imagination. Là je verrais un pays peut-être aussi sauvage, mais sans doute bien autrement intéressant que celui dans lequel nous étions alors. Leurs pics paraissaient s’élever jusqu’aux nues et présentaient aux yeux une variété de coupes pittoresques bien différentes de l’uniformité fatigante des hauteurs que nous avions gravies jusque-là. En contemplant cette région alpine, je brûlais du désir de faire connaissance avec les solitudes qu’elle devait renfermer et de braver tous les périls pour satisfaire ma curiosité, de même que le marin fatigué de la monotonie d’un long calme voudrait l’échanger pour le mouvement et les risques d’un combat ou d’une tempête. Je fis diverses questions à mon ami M. Jarvie sur le nom et la position de ces montagnes remarquables, mais il ne put ou ne voulut pas y répondre ; il me dit seulement que c’était là que commençaient les Highlands. – Vous avez tout le temps de voir les Highlands, répéta-t-il, vous en aurez tout le temps avant de revenir à Glascow. Pour moi je ne les regarde jamais d’avance, je n’aime pas à les voir ; elles jettent de la tristesse dans mon âme. Ce n’est pas frayeur, au moins ; non, ce n’est pas frayeur. C’est… c’est compassion pour les pauvres créatures à demi mourant de faim qui les habitent. Mais n’en parlons plus. Il ne faut point parler des Highlanders quand on en est si proche : j’ai connu plus d’un honnête homme qui ne serait pas venu jusqu’ici sans faire son testament. Mattie n’était pas trop contente de me voir entreprendre un tel voyage ; elle a pleuré, la folle ! mais il n’est pas plus étonnant de voir une femme pleurer que de voir une oie marcher sans souliers.

Je tâchai de faire tomber la conversation sur l’histoire et le caractère de l’homme que nous allions voir, mais sur ce sujet M. Jarvie fut impénétrable ; ce que j’attribuai en partie à la présence de M. André Fairservice, qui nous suivait de si près que ses oreilles ne pouvaient se dispenser d’entendre chaque mot que nous prononcions, et sa langue prenait la liberté de se mêler à la conversation toutes les fois qu’il en trouvait l’occasion. Mais alors M. Jarvie ne manquait guère de le tancer.

– Restez derrière, monsieur, et à la distance qui vous convient, lui dit le bailli comme il s’avançait pour mieux entendre la réponse à une question que je lui avais faite sur Campbell ; vous vous mettriez à côté de nous si l’on vous laissait faire. Ce gaillard-là veut toujours sortir du moule à fromage dans lequel il a été jeté. À présent qu’il ne peut plus nous entendre, M. Osbaldistone, je vais répondre à votre question autant que cela me sera possible et pourra vous être utile. Je ne puis vous dire grand bien de Rob, pauvre diable ! et je ne peux pas vous en dire de mal, d’abord parce qu’il est mon cousin, et ensuite parce que nous sommes dans son pays et qu’il n’y a pas un buisson derrière lequel un de ses gens ne puisse être caché. Si vous voulez m’en croire, moins vous parlerez de lui, du lieu où nous allons et du motif de notre voyage, plus nous aurons d’espoir de réussir. Nous pouvons rencontrer quelqu’un de ses ennemis ; il en a plus d’un dans ces environs. Il a encore la tête droite, mais il peut être obligé de la baisser. Vous savez que le couteau entame quelquefois la peau du plus fin renard.

– Je suis bien décidé, lui répondis-je, à me laisser entièrement guider par votre expérience.

– Fort bien, M. Osbaldistone, fort bien. Mais il faut que je dise deux mots à ce garnement, car les enfants et les imbéciles répètent souvent en plein air ce qu’ils ont entendu au coin du feu. Holà, hé ! André ! Comment l’appelez-vous ? Fairservice ?

André, qui, depuis la dernière rebuffade qu’il avait reçue, se tenait à une distance respectueuse, jugea à propos de faire la sourde oreille.

– André, maraud ! répéta M. Jarvie ; ici, monsieur, ici !

– C’est ainsi qu’on parle à un chien ! dit André en s’approchant d’un air d’humeur.

– Et je vous donnerai les gages d’un chien, maraud ! si vous ne faites pas attention à ce que j’ai à vous dire. Écoutez-moi bien. Nous allons donc dans les Highlands…

– Je m’en doutais bien, dit André.

– Écoutez-moi, monsieur, et ne m’interrompez pas. Je vous disais donc que nous allons dans les Highlands…

– Vous me l’avez déjà dit, je ne l’ai pas oublié, répondit l’incorrigible André.

– Je vous briserai les os, si vous ne retenez votre langue.

– Une langue retenue rend la bouche baveuse, répliqua André.

Je fus obligé d’intervenir dans ce colloque, et j’imposai silence à André du ton le plus impérieux.

– Je ne dis plus un mot, me répondit-il. Ma mère m’a répété plus d’une fois :

Qui tient la bourse à son plaisir

A droit de se faire obéir.

Ainsi vous pouvez parler l’un ou l’autre tant qu’il vous plaira. Je suis muet.

Après cette docte citation, M. Jarvie, craignant qu’elle ne fût suivie d’une autre, s’empressa de prendre la parole pour lui donner ses instructions :

– Faites donc bien attention à ce que je vais vous dire, si vous avez quelque égard pour votre tête, quoiqu’elle ne vaille pas grand argent. Dans l’endroit où nous allons, et où il est probable que nous passerons la nuit, il se trouve des gens de toutes les sectes, de tous les partis, de tous les clans, des habitants des Hautes-Terres, ou Highlands, et des habitants des Basses-Terres, ou Lowlands, leurs voisins. Ils sont souvent en querelles, et l’on y voit moins de bibles ouvertes que de sabres hors du fourreau, surtout quand l’usquebaugh a monté les têtes. Ne vous mêlez pas de leurs affaires, faites rester en repos votre langue bavarde, entendez tout sans rien dire et laissez les coqs se battre.

– Ce n’est pas la peine de me dire tout cela, répliqua André d’un air de dédain. Croyez-vous que je n’aie jamais vu un Highlander, que je ne sache pas comment il faut se conduire avec eux ? Je n’ai besoin des leçons de personne. J’ai trafiqué avec eux, mangé avec eux, bu avec eux…

– Et vous êtes-vous aussi battu avec eux ?

– Non, non ; j’ai toujours pris soin de m’en préserver. Il ne conviendrait pas que moi, qui suis dans mon métier un artiste, un demi-savant, j’allasse me battre avec des ignorants, qui ne sauraient dire en bon écossais, encore moins en latin, le nom d’une seule plante de leurs montagnes.

– Eh bien ! si vous voulez conserver votre langue et vos oreilles, car vous aimez à faire usage de l’une comme des autres, je vous recommande de ne pas dire un mot, ni en bien ni en mal, à qui que ce soit dans le clan. Surtout faites bien attention à ne point bavarder sur nous, à ne pas chercher à faire sonner le nom de votre maître et le mien. N’allez pas dire : Celui-ci est le bailli Nicol Jarvie de Glascow, fils du digne diacre Nicol Jarvie, dont tout le monde a entendu parler. Celui-là est M. Frank Osbaldistone, fils unique du chef de la respectable maison Osbaldistone et Tresham, dans la cité, à Londres.

– C’est bon ! c’est bon ! pourquoi voulez-vous que j’aille parler de vos noms ? J’aurais des choses plus intéressantes à dire, je crois.

– Et précisément, sot oison, ce sont ces choses intéressantes que vous pouvez avoir apprises, entendues, devinées ou imaginées, dont je crains que vous ne parliez à tort et à travers.

– Si vous ne me jugez pas en état de parler aussi bien qu’un autre, dit André d’un ton suffisant, payez-moi mes gages et ma nourriture, et je retournerai à Glascow… Il n’y aura pas de grands regrets à notre séparation, comme disait la vieille jument au chariot brisé.

Voyant qu’André prenait encore une fois un ton d’impertinence qui allait me rendre son service plus nuisible qu’utile, je lui déclarai ouvertement qu’il pouvait s’en retourner si bon lui semblait, mais que je ne lui paierais pas un sou de ses gages. Un argument ad crumenam, comme disent certains logiciens en plaisantant, produit de l’effet sur presque tous les hommes, et André n’affectait pas de singularité sur ce point. Le limaçon rentra ses cornes, pour me servir de l’expression de M. Jarvie, et, se retirant à quelques pas derrière nous, il nous suivit d’un air de soumission et de docilité.

La concorde étant ainsi rétablie, nous continuâmes paisiblement notre route. Après avoir monté pendant environ six à sept milles d’Angleterre, nous trouvâmes une descente à peu près de même longueur. Le pays était toujours aussi stérile, la vue aussi uniforme. Le seul objet qui pût attirer nos regards étaient les montagnes, dont nous apercevions toujours les sommets escarpés, et qui ne nous paraissaient guère plus rapprochées que quelques heures auparavant. Nous marchâmes sans nous arrêter ; et cependant, lorsque la nuit vint envelopper de ses ombres les déserts sauvages et arides que nous traversions, M. Jarvie me dit que nous avions encore trois milles et un peu plus à faire avant d’arriver à l’endroit où nous devions passer la nuit.

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