193.—DE Mme DE SÉVIGNÉ A Mme DE GRIGNAN.

A Vichy, samedi au soir 4 septembre 1677.

J'ai reçu deux de vos lettres en arrivant, ma très-chère; j'en avais grand besoin: mon cœur était triste, me voilà bien: je les relirai, ce m'est une consolation. Ma fille, passé aujourd'hui, je vous promets de ne plus écrire qu'un mot, c'est-à-dire, la feuille qui chante et chantera; mais faites-en donc de même: vous êtes excédée d'écriture, et c'est être malade à votre âge, que d'être maigre au point que vous l'êtes; je hais, il est vrai, de voir si visiblement la côte d'Adam en votre personne. Ma fille, ne me grondez pas ce soir, je veux un peu parler: j'arrive; je me repose demain; rien ne m'oblige à me taire. M. de Champlâtreux est déjà venu me voir; le bon abbé le trouve d'une bonne société; il lui donnera souvent à dîner. Savez-vous qui m'a déjà envoyé faire un compliment? M. le marquis de Termes, qui arriva hier tout malade de goutte et de colique: on dit qu'il a la barbe longue comme un capucin: ah! c'est fort bien fait. Le chevalier de Flamarens est avec lui, M. et madame d'Albon y sont aussi, M. de Jussac: on attend encore bien du monde. J'oublie le meilleur, c'est Vincent qui sort déjà d'ici, et qui prendra des soins de moi extrêmes. Je me porte très-bien; je ne sais que souhaiter de mieux, sinon déclouer ce bienheureux état. Je vous écrivis hier de la Palice; j'y vis un petit garçon que je trouvai joli: il a sept ans; je suis sûre qu'il ressemble au vôtre: son père, qui est un gentilhomme de M. de Saint-Géran, lui a appris l'exercice du mousquet et de la pique; c'est la plus jolie chose du monde; vous aimeriez ce petit enfant; cela lui dénoue le corps; il est délibéré, adroit, résolu. Son père passe sa vie à la guerre; il est convalescent à la Palice, et se divertit à rendre son fils un vrai petit soldat; j'aimerais mieux cela qu'un maître à danser: si le hasard vous envoyait un tel homme, prenez le même plaisir sur ma parole. M. l'archevêque a écrit au bon abbé tout ce qui peut se mander d'obligeant et de tendre pour l'engager au voyage de Grignan; mais je ne vois pas que cela l'ébranle, quoiqu'il en soit touché. J'aurais bien à causer sur vos deux lettres que voilà; mais, quoique je ne sois pas encore initiée à la fontaine, je veux vous donner l'exemple. Un homme de la cour disait l'autre jour à madame de Ludres: «Madame, vous êtes, ma foi, plus belle que jamais.»—«Tout de bon? dit-elle; j'en suis bien aise, c'est un ridicule de moins.» J'ai trouvé cela plaisant. Madame de Coulanges a des soins de moi admirables; je regarde autour de moi; est-ce que je suis en fortune? Elle me rend le tambourinage qu'elle reçoit de beaucoup d'autres. La Bagnols m'écrit aussi mille douceurs tortillonnées. Adieu, ma chère enfant; évitez sur toute chose le cœur de l'hiver pour revenir, et le détour de Reims. Croyez-moi; il n'y a point de santé qui puisse résister à ces fatigues; les voyages usent le corps comme les équipages.

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