82. À Madame de Grignan

Aux Rochers, dimanche 23ème avril 1690.

Réponse au 13ème.

Vous les recevez donc toujours, ma bonne, avec cette joie et cette tendresse qui vous fait croire que saint Augustin et M. Dubois y trouveraient à retrancher. Ce sont vos chères bonnes, elles sont nécessaires à votre repos. Il ne tient qu’à vous de croire que cet attachement est une dépravation ; cependant vous vous tenez dans la possession de m’aimer de tout votre cœur, et bien plus que votre prochain, que vous n’aimez que comme vous-même. Voilà bien de quoi ! Voilà, ma chère bonne, ce que vous me dites. Si vous pensez que ces paroles passent superficiellement dans mon cœur, vous vous trompez. Je les sens vivement, Elles s’y établissent. Je me les dis et les redis, et même je prends plaisir à vous les redire, comme pour renouveler vos vœux et vos engagements. Les personnes sincères comme vous donnent un grand poids à leurs paroles. Je vis donc heureuse et contente sur la foi des vôtres. En vérité, elle est trop grande et trop sensible, cette amitié ; il me semble que, par un esprit de justice, je serais obligée d’en retrancher, car la tendresse des mères n’est pas ordinairement la règle de celle des filles, mais vous n’êtes point aussi comme les autres. Ainsi je jouirai sans scrupule de tous les biens que vous me faites ; je solliciterai même M. Dubois pour ne point troubler une si douce possession.

Parlons de votre santé. Voilà le temps que votre sang se met en colère. Vous en étiez, il y a un an, fort incommodée. Vous vous fîtes saigner et purger ; vous vous en trouvâtes très bien. Je vous en fais souvenir, ma chère bonne, parce qu’il n’y a rien que je trouve si considérable que la santé. Vos maux de gorge sont effrayants. Vous me présentez le vôtre comme une légère incommodité. Dieu le veuille ! Je voudrais toujours que jamais vous ne fussiez sans du baume tranquille : il est souverain à ces sortes de maux, et je crains que vous n’en manquiez, quand je songe combien vous en avez fait prendre à Martillac de tous les côtés. Vous n’auriez qu’à prier l’abbé Bigorre de vous en envoyer une petite bouteille. On les paye un écu ou une demi-pistole ; ce ne serait pas une affaire. Songez-y, ma bonne ; ne soyez jamais sans un tel secours. Ne vous échauffez point le sang. Les échecs vous font mal en vous divertissant, mais c’est une occupation, ce n’est pas un jeu. Je gronde Pauline ; je lui dis qu’elle ne vous aime point de vous donner cette émotion. J’ai grondé Monsieur le Chevalier. Je vous gronde, ma bonne. D’ici je ne puis pas mieux faire.

Pour nos desseins, je vous ai dit mon projet. Si vous n’allez point à Paris, je n’irai point ; si vous y alliez, vous feriez le miracle de forcer mes impossibilités. Si vous êtes à Grignan, j’irai, et je me fais un grand plaisir de songer que si Dieu le veut bien, je passerai cet hiver avec vous. Le temps passe bien vite avec une telle espérance. Mais je vous demande bien sérieusement de ne rien dire à Paris de ce dessein. Ce me serait un embarras et un chagrin dans le commerce que j’ai avec mes amies, qui commencent déjà de souhaiter mon retour et de m’en parler. Laissons mûrir le dessein de ce voyage de traverse, comme une opinion probable dans Pascal. Voilà, ma chère bonne, où nous devons en demeurer, car pour passer à Paris avant que de vous aller voir, c’est ce qui ne convient ni à mon goût, ni à mes affaires. L’abbé Charrier est à Paris ; il vous écrira de Lyon.

Vraiment, vous avez retenu si follement toutes les sottises que j’ai dites sur ces cruelles haleines, que j’ai le malheur de sentir plus que les autres, que vous m’en avez fait rire comme si je n’en avais jamais entendu parler. Il est vrai que j’ai le nez trop bon, et si par hasard quelqu’un de mes amis avait empoisonné ses paroles en me parlant, je n’aurais pas au moins à me reprocher de ne les avoir point avertis. Mais les gens qui comptent leur corps pour rien comptent pour rien aussi l’incommodité de leur prochain.

M. de Pommereuil a présentement les plus belles dents du monde. Je lui dis aussi avec plaisir que j’aurais vu Mme de Coëtlogon si son mari m’avait visitée. Il m’approuva, détesta le mari, et avait donné un bon exemple, car arrivant de Paris le lendemain que je fus arrivée à Rennes, il arrêta chez moi avant que d’entrer chez lui, et m’embrassa, et fit par amitié et par ancienne considération ce que l’autre devait faire par honnêteté. Il a une envie démesurée de donner un lieutenant de roi à M. de Molac pour faire sa charge, mais la presse n’est pas grande aux conditions d’obéir à l’Intendant. Il est aussi de notre confidence pour l’arrière-ban.

Ne reconnaissez-vous pas M. de Chaulnes, d’avoir fait écrire le pape à sa chère fille Mme de Maintenon ? Elle est si touchée de ce bref qu’elle en a remercié Mme de Chaulnes avec un air de reconnaissance qui passe la routine des compliments. Ce n’est point elle qui me le mande, et même, chacun de ceux qui m’écrivent croyant que l’autre m’eût envoyé la copie de ce bref, il se trouve que je ne l’ai point eu ; enfin j’ai prié qu’on me l’envoyât.

Cette duchesse me mande que Madame la Dauphine s’en va. Elle est enfin dans la dernière extrémité. Tous ses officiers sont consternés. Le maréchal de Bellefonds y perd son bien, mais apparemment cette belle place sera bientôt remplie. Mme la maréchale d’Humières était debout auprès de Mme de Chaulnes comme le Roi venait souper ; il démêla cette maréchale, et lui dit, en se mettant à table : « Madame, vous pouvez vous asseoir. » Elle fit une grande révérence et s’assit, et l’histoire finit ainsi. On dit que sa fille ne fera de duc que son mari, et qu’elle finira là.

J’ai écrit à notre bonne duchesse de Chaulnes que je la priais de nous donner M. Rochon le 25ème de mai pour notre requête civile, qu’il y faisait un principal personnage, et que je ne serais pas seule à lui demander cette grâce.

Je suis en vérité ravie que M. de La Garde soit payé de sa pension.

À LA GARDE

Monsieur, trouvez bon que, sans cérémonie et d’un cœur qui sent votre joie, je vous dise la part que j’y prends. J’entre plus que personne dans toutes les raisons de justice qui vous la font sentir. Ma fille en est touchée comme vous, et vous aime, et vous estime, et vous a tant d’obligation que vous ne devez jamais douter de sa reconnaissance non plus que de la mienne.

Je veux parler tout de suite à M. de Grignan.

À MONSIEUR DE GRIGNAN

Mon cher Comte, on dit que vous m’aimez. Je vous dirai ici que j’en suis ravie, car pour vous écrire, je suis votre très humble servante ; je ne m’y joue pas. Je sais l’effet de vos réponses, et même vous ne devez pas souhaiter ce commerce. Il vous a déjà fait perdre ma belle-fille, qui n’en veut plus avec vous. J’avoue qu’il est assez extraordinaire de rompre avec un homme parce qu’il écrit trop bien, mais je vous dis le fait, elle s’est retirée derrière le théâtre. Cette fin est digne du commencement, mais de perdre votre belle-mère par la même raison serait une chose risible. Ainsi je vous parle ici tout naïvement ; ce n’est point une lettre. Je vous dis toutes sortes de bonnes et sincères amitiés, et puis je vous demande si vous ne connaissez point M. de Bruys de Montpellier, autrefois huguenot, présentement les poussant à outrance par des livres dont nous sommes charmés ; vous les aimeriez passionnément aussi. Voilà tout ; vous me répondrez dans la lettre de ma fille.

Me revoilà, ma bonne. Après avoir fait un petit tour, il faut toujours revenir à vous. Ah ! oui, vraiment, je connais le style d’où Pauline a puisé sa lettre. Mon Dieu, comme je le trouve, présentement qu’on n’aime plus que ce qui est naturel ! Mais j’avoue que la beauté des sentiments et les grands coups d’épées m’avaient enchantée. L’abbé de Villarceaux était encore plus grand pécheur que moi, c’est-à-dire que des gens fort au-dessus de mon mérite avaient cette folie. Voilà comme on se console, et comme dira Pauline.

À PAULINE DE GRIGNAN

C’est donc, Mademoiselle Pauline, de cette même main, de cette même plume, que vous écrivez à Mme d’Épernon pour savoir d’elle si Dieu veut que vous soyez carmélite ! Vraiment j’en suis bien aise. Si vous continuez, il ne faudra point attendre de si loin une réponse. Je l’empêche aujourd’hui de vous écrire, cet amant. S’il vous fait devenir folle par l’honneur de son amour, comme dit madame votre mère, vous le faites devenir aussi le berger extravagant dans ces bois.

En vérité, ma bonne, je n’ai rien vu de plus plaisant que l’inclination qu’il a pour cette jolie petite idée, dont vous me donnez aussi la meilleure opinion du monde. Son imagination ne s’engage à rien qu’elle ne soutienne avec toute la grâce et tous les tons nécessaires. Cela compose une personne non seulement très divertissante, mais très charmante. Votre enfant partira bientôt. Vous avez vendu votre compagnie, comme on fait toutes choses, quand on n’est pas heureux. C’est un grand bonheur que le Roi ait eu pitié de ces pauvres guerriers en leur ôtant leur vaisselle et retranchant leur table. Je conseille au Marquis d’obéir ponctuellement, et vous, de l’ordonner au maître d’hôtel. M. de Grignan écrira-t-il à son ami le maréchal d’Humières, sur la duché ? Je lui conseille, pour ne le point fâcher, d’écrire à la maréchale duchesse. C’est par là qu’on évite d’offenser son ami ou de s’offenser soi-même.

Voilà, ma chère bonne, une réponse de M. du Plessis. Je crois qu’elle vous fera plaisir, et qu’en même temps il vous fera pitié avec son sot mariage. Ma chère bonne, ayez soin de votre sang, de votre santé, je vous en conjure ; je ménage très bien la mienne. J’ai déjà demandé à mes amies tous les secours qu’ils nous ont déjà donnés. Je crois que la pension des menins n’a point été retranchée ni reculée. Mille amitiés à Monsieur le Chevalier.

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