12. À d’Hacqueville

Aux Rochers, mercredi 17ème juin 1671.

Je vous écris avec un serrement de cœur qui me tue ; je suis incapable d’écrire à d’autres qu’à vous, parce qu’il n’y a que vous qui ayez la bonté d’entrer dans mes extrêmes tendresses. Enfin, voilà le second ordinaire que je ne reçois point de nouvelles de ma fille. Je tremble depuis la tête jusqu’aux pieds, je n’ai pas l’usage de raison, je ne dors point ; et si je dors, je me réveille avec des sursauts qui sont pires que de ne pas dormir. Je ne puis comprendre ce qui empêche que je n’aie des lettres comme j’ai accoutumé. Dubois me parle de mes lettres qu’il envoie très fidèlement, mais il ne m’envoie rien, et ne me donne point de raison de celles de Provence. Mais, mon cher Monsieur, d’où cela vient-il ? Ma fille ne m’écrit-elle plus ? Est-elle malade ? Me prend-on mes lettres ? car, pour les retardements de la poste, cela ne pourrait pas faire un tel désordre. Ah ! mon Dieu, que je suis malheureuse de n’avoir personne avec qui pleurer ! J’aurais cette consolation avec vous, et toute votre sagesse ne m’empêcherait pas de vous faire voir toute ma folie.

Mais n’ai-je pas raison d’être en peine ? Soulagez donc mon inquiétude, et courez dans les lieux où ma fille écrit, afin que je sache au moins comme elle se porte. Je m’accommoderai mieux de voir qu’elle écrit à d’autres que de l’inquiétude où je suis de sa santé. Enfin, je n’ai pas reçu de ses lettres depuis le 5ème de ce mois, elles étaient du 23 et 26ème mai. Voilà donc douze jours et deux ordinaires de poste. Mon cher Monsieur, faites-moi promptement réponse. L’état où je suis vous ferait pitié. Écrivez un peu mieux ; j’ai peine à lire vos lettres, et j’en meurs d’envie. Je ne réponds point à toutes vos nouvelles ; je suis incapable de tout. Mon fils est revenu de Rennes ; il y a dépensé quatre cents francs en trois jours. La pluie est continuelle. Mais tous ces chagrins seraient légers, si j’avais des lettres de Provence. Ayez pitié de moi ; courez à la poste, apprenez ce qui m’empêche d’en avoir comme à l’ordinaire. Je n’écris à personne, et je serais honteuse de vous faire voir tant de faiblesses si je ne connaissais vos extrêmes bontés.

Le gros abbé se plaint de moi ; il dit qu’il n’a reçu qu’une de mes lettres. Je lui ai écrit deux fois ; dites-lui, et que je l’aime toujours.

Share on Twitter Share on Facebook