Appartement du palais de Léonato.
Entrent don Juan et Borachio.
DON JUAN. – C’est une affaire conclue, le comte Claudio épouse la fille de Léonato.
BORACHIO. – Oui, seigneur ; mais je puis traverser cette affaire.
DON JUAN. – Tout obstacle, toute entrave, toute machination sera un baume pour mon cœur. Je suis malade de la haine que je lui porte, et tout ce qui pourra contrarier ses inclinations s’accordera avec les miennes. – Comment feras-tu pour entraver le mariage ?
BORACHIO. – Ce ne sera pas par des voies honnêtes, seigneur ; mais elles seront si secrètes, qu’on ne pourra m’accuser de malhonnêteté.
DON JUAN. – Vite, dis-moi comment.
BORACHIO. – Je croyais vous avoir dit, seigneur, il y a un an, combien j’étais dans les bonnes grâces de Marguerite, suivante d’Héro.
DON JUAN. – Je m’en souviens.
BORACHIO. – Je puis, à une heure indue de la nuit, la charger de se montrer au balcon de l’appartement de sa maîtresse.
DON JUAN. – Qu’y a-t-il là qui soit capable de tuer ce mariage
BORACHIO. – Le poison, c’est à vous à l’extraire, seigneur. Allez trouver le prince votre frère, ne craignez point de lui dire qu’il compromet son honneur, en unissant l’illustre Claudio, dont vous faites le plus grand cas, à une vraie prostituée, comme Héro.
DON JUAN. – Quelle preuve en fournirai-je ?
BORACHIO. – Une preuve assez forte pour abuser le prince, tourmenter Claudio, perdre Héro, et tuer Léonato. Avez-vous quelque autre but ?
DON JUAN. – Seulement pour les désoler, il n’est rien que je n’entreprenne.
BORACHIO. – Allons donc, trouvez-moi une heure propice pour attirer à l’écart don Pèdre et Claudio. Dites-leur que vous savez qu’Héro m’aime. Affectez du zèle pour le prince et pour le comte, comme si vous veniez conduit par l’intérêt que vous prenez à l’honneur de votre frère qui a fait ce mariage, et à la réputation de son ami qui se laisse ainsi tromper par les dehors de cette fille… que vous avez découvert être fausse. Ils ne le croiront guère sans preuve ; offrez-en une qui ne sera pas moins que de me voir à la fenêtre de la chambre d’Héro ; entendez-moi dans la nuit appeler Marguerite, Héro, et Marguerite me nommer Borachio. Amenez-les pour voir cela la nuit même qui précédera le mariage projeté ; car dans l’intervalle je conduirai l’affaire de façon à ce qu’Héro soit absente, et sa déloyauté paraîtra si évidente que le soupçon sera nommé certitude, et tous les préparatifs seront abandonnés.
DON JUAN. – Quelque revers possible que l’événement amène, je veux suivre ton dessein. Sois adroit dans le maniement de tout ceci, et ton salaire est de mille ducats.
BORACHIO. – Soyez vous-même ferme dans l’accusation, et mon adresse n’aura pas à rougir.
DON JUAN. – Je vais de ce pas m’informer du jour de leur mariage.