SCÈNE IV

(Une autre partie du bois.)

TITANIA arrive avec sa cour.

TITANIA. – Allons, un rondeau , et une chanson de fées ; et ensuite, partez pour le tiers d’une minute, que les unes aillent tuer le ver caché dans le bouton de rose ; les autres faire la guerre aux chauves-souris, pour avoir leurs ailes de peau, afin d’en habiller mes petits génies ; que d’autres écartent le hibou qui ne cesse toute la nuit de faire entendre ses cris lugubres, surpris de voir nos esprits légers. – Chantez maintenant pour m’endormir ; et après, laissez-moi reposer, et allez à vos fonctions.

CHANSON.

PREMIÈRE FÉE.

Vous, serpents tachetés au double dard,

Épineux porcs-épics, ne vous montrez pas.

Lézards, aveugles reptiles, gardez-vous d’être malfaisants,

N’approchez pas de notre reine.

CHŒUR DE FÉES.

Philomèle, avec mélodie

Chante-nous une douce chanson de berceuse,

Lulla, Lulla, Lullaby ; Lulla, Lulla, Lullaby.

Que nul trouble, nul charme, nul maléfice

N’approche de notre aimable reine.

Et bonne nuit dormez bien.

II

SECONDE FÉE.

Araignées filandières, n’approchez pas :

Loin d’ici fileuses aux longues jambes, loin d’ici.

Éloignez-vous, noirs escarbots.

Ver, ou limaçon, n’offensez pas notre reine.

LE CHŒUR.

Philomèle, avec mélodie, etc.

PREMIÈRE FÉE.

Allons, partons : tout va bien.

Qu’une de nous se tienne à part comme sentinelle.

(Titania s’endort ; les fées sortent.)

(Oberon survient, et dit en exprimant le suc de la fleur sur les paupières de Titania :)

OBERON.

Que l’objet que tu verras, en t’éveillant,

Devienne l’objet de ton amour :

Aime-le et languis pour lui :

Que ce soit un ours, un tigre ou un chat,

Un léopard ou un sanglier à la crinière hérissée.

Qui apparaisse à tes yeux, à ton réveil,

Il sera ton amant chéri.

Réveille-toi à l’approche d’un objet hideux.

(Oberon sort.)

(Entrent Lysandre et Hermia.)

LYSANDRE. – Ma belle amie, vous êtes fatiguée d’errer dans ce bois ; et à vous dire vrai, j’ai oublié le chemin : nous nous reposerons, Hermia, si vous le voulez, et nous attendrons ici la lumière consolante du jour.

HERMIA. – Je le veux bien, Lysandre. Allez, cherchez un lit pour vous : moi je vais reposer ma tête sur ce gazon.

LYSANDRE. – La même touffe de verdure nous servira d’oreiller à tous les deux : un seul cœur, un même lit, deux âmes, et une seule foi.

HERMIA. – Non, cher Lysandre : pour l’amour de moi, mon ami, placez-vous plus loin encore ; ne vous mettez pas si près de moi.

LYSANDRE. – Ô ma douce amie ! prenez mes paroles dans le sens que leur donne mon innocence. Dans l’entretien des amants, l’amour est l’interprète ; j’entends que mon cœur est uni au vôtre, en sorte que nous pouvons des deux cœurs n’en faire qu’un ; que nos deux âmes se sont enchaînées par un serment, en sorte que ce n’est qu’une foi dans deux âmes. Ne me refusez donc pas une place à vos côtés, pour me reposer ; car en me couchant ainsi je ne ments point .

HERMIA. – Lysandre excelle à faire des énigmes : malheur à mes manières et à ma fierté, si Hermia a voulu dire que Lysandre mentait. Mais, mon aimable ami, au nom de la tendresse et de la courtoisie, éloigne-toi un peu : cette séparation, prescrite par la décence humaine convient à un amant vertueux, et à une jeune vierge : oui, tiens-toi à cette distance ; et bonsoir, mon bien-aimé ; que ton amour ne finisse qu’avec ta précieuse vie !

LYSANDRE. – Je réponds à cette tendre prière : Ainsi soit-il, ainsi soit-il ; et que ma vie finisse quand finira ma fidélité ! Voici mon lit : que le sommeil t’accorde tout son repos !

HERMIA. – Que la moitié de ses faveurs ferme les yeux de celui qui m’adresse ce souhait.

(Ils s’endorment tous deux.)

(Entre Puck.)

PUCK.

J’ai couru tout le bois ;

Je n’ai trouvé aucun Athénien

Sur les yeux de qui je pusse essayer

La force de cette fleur pour inspirer l’amour.

Nuit et silence ! Qui est ici ?

Il porte les habits d’Athènes.

C’est l’homme que m’a désigné mon maître,

Et qui dédaigne la jeune Athénienne.

Et la voici elle-même profondément endormie

Sur la terre humide et fangeuse.

Oh ! la jolie enfant : elle n’a pas osé se coucher

Près de ce cruel, de cet ennemi de la tendresse.

Rustre, je répands sur tes yeux

Tout le pouvoir que ce charme possède :

Qu’à ton réveil l’amour défende au sommeil

De jamais descendre sur ta paupière.

Réveille-toi dès que je serai parti :

Il faut que j’aille retrouver Oberon.

(Entrent Démétrius et Hélène courant.)

HÉLÈNE. – Arrête, cher Démétrius, dusses-tu me donner la mort !

DÉMÉTRIUS. – Je t’ordonne de t’en aller, ne me poursuis pas ainsi.

HÉLÈNE. – Oh ! veux-tu donc m’abandonner ici dans les ténèbres ? Ne fais pas cela.

DÉMÉTRIUS. – Arrête, sous peine de ta vie : je veux m’en aller seul.

(Démétrius s’enfuit.)

HÉLÈNE, seule. – Oh ! cette vaine poursuite m’a mise hors d’haleine. Plus je le prie, et moins j’obtiens. Hermia est heureuse, en quelque lieu qu’elle se trouve ; car elle a des yeux célestes, et qui attirent vers elle. Comment ses yeux sont-ils devenus si brillants ? Ce n’est pas à force de larmes amères : si cela était, mes yeux en ont été plus souvent arrosés que les siens. Non, non ; je suis laide comme un ours, car les bêtes de ce bois qui me rencontrent s’enfuient de peur. Il n’est donc pas étonnant que Démétrius, qui est un monstre sauvage, fuie aussi ma présence. Que mon miroir est perfide et imposteur, de m’avoir persuadé de comparer mon visage aux doux yeux d’Hermia ! Mais, qui est ici ? Lysandre, étendu sur la terre ! Est-il mort, ou endormi ? Je ne vois point de sang, nulle blessure. – Lysandre, si vous êtes vivant, bon Lysandre, éveillez-vous.

LYSANDRE (Il s’éveille.) – Et je traverserais les flammes pour l’amour de toi. Transparente Hélène ! la nature montre son art, en me faisant voir ton cœur à travers ton sein. Où est Démétrius ? Oh ! que ce nom odieux est bien celui d’un homme destiné à mourir de mon épée !

HÉLÈNE. – Ne parlez ainsi, Lysandre ; ne parlez pas ainsi : qu’importe qu’il aime votre Hermia ? Lysandre, que vous importe ? Hermia n’aime que vous ; ainsi soyez content.

LYSANDRE. – Content avec Hermia ? Non ! je me repens des instants ennuyeux que j’ai perdus avec elle. Ce n’est point Hermia, c’est Hélène que j’aime. Qui ne voudrait changer un corbeau contre une colombe ? La volonté de l’homme est gouvernée par la raison ; et ma raison me dit que vous êtes la plus digne d’être aimée. Les plantes qui croissent encore ne sont pas mûres avant leur saison ; et moi-même, trop jeune jusqu’ici, je n’étais point mûr pour la raison ; mais maintenant que je touche au plus haut point de la perfection humaine, la raison devient le guide de ma volonté et me conduit à vos yeux, où je vois des histoires d’amour écrites dans le livre le plus précieux de l’amour.

HÉLÈNE. – Pourquoi suis-je née pour être en butte à cette ironie ? Quand ai-je mérité d’essuyer de votre part ces mépris ? N’est-ce donc pas assez, n’est-ce donc pas assez, jeune homme, que je n’aie jamais pu, non, et que je ne puisse jamais mériter un doux regard des yeux de Démétrius, sans qu’il faille encore que vous insultiez à ma disgrâce ? De bonne foi, vous me faites une injure ; oui, oui, vous m’insultez, en me faisant la cour d’une manière si méprisante ! Mais adieu ; je suis forcée d’avouer que je vous avais cru doué d’une générosité plus vraie. Oh ! se peut-il qu’une femme rebutée d’un homme soit à cause de cela cruellement raillée par un autre ?

(Elle sort.)

LYSANDRE. – Elle ne voit point Hermia. – Hermia, continue de dormir ici, et puisses-tu ne jamais t’approcher de Lysandre ! Car, comme l’excès des mets les plus délicieux porte à l’estomac le dégoût le plus invincible ; comme les hérésies que les hommes abjurent sont détestées surtout par ceux qu’elles avaient trompé ; de même, toi, objet de ma satiété et de mon hérésie, sois haïe de tous, et surtout de moi ! Et vous, puissances de mon âme, consacrez votre amour et votre force à honorer Hélène, et à me rendre son chevalier.

(Il sort.)

HERMIA, se réveillant en sursaut. – À mon secours, Lysandre ! à mon secours ! Oh ! fais ton possible pour arracher ce serpent qui rampe sur mon sein : hélas ! par pitié ! – Quel était ce songe ! Lysandre, vois comme je tremble de frayeur ! il m’a semblé qu’un serpent me dévorait le cœur, et que toi, tu étais assis, souriant à mon cruel tourment. – Lysandre ! quoi, s’est-il éloigné ! Lysandre ! Seigneur ! Quoi ! il ne m’entend pas ! Il est parti ! Pas un son, pas une parole ! Hélas ! où êtes-vous ? Répondez-moi, si vous pouvez m’entendre : parlez-moi, au nom de tous les amours ! Je suis prête à m’évanouir de terreur ! – Personne ! – Ah ! je vois enfin que tu n’es plus près de moi ; il faut que je trouve à l’instant, ou la mort, ou toi.

(Elle sort).

FIN DU DEUXIÈME ACTE.

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