Pendant quelque temps après notre réunion de ce matin, je restai l’esprit vide. Ces nouveaux développements me laissent dans un état de stupeur où nulle pensée active ne saurait trouver place. La décision de Mina de rester à l’écart de nos délibérations me donne à réfléchir. Et comme je n’ai pu en discuter avec elle, j’en suis réduit à des suppositions. Me voici aussi éloigné que jamais de toute solution. La façon dont les autres ont pris la chose me déroute également. Quand nous avons agité le sujet pour la dernière fois, il était entendu que rien entre nous ne resterait caché. Mina dort à présent, aussi calme, aussi paisible qu’un petit enfant. Ses lèvres sont arquées, son visage rayonne de bonheur. Grâce à Dieu, il existe encore de tels moments pour elle !
Plus tard
Que tout cela est étrange ! J’étais assis, veillant sur l’heureux sommeil de Mina, et aussi prêt que possible d’être heureux moi-même. Le soir s’avançait, la terre se couvrait d’ombres à mesure que le soleil déclinait ; le silence dans la chambre me semblait de plus en plus profond. Mina ouvrit brusquement les yeux et, me regardant avec tendresse, me dit :
– Jonathan, je voudrais que vous me promettiez quelque chose sur votre honneur. Une promesse que vous me ferez à moi, mais qui sera consacrée par le sentiment que Dieu l’entend ; une promesse que rien ne devra rompre, pas même si je tombe à genoux et vous implore avec des larmes amères. Vite, il faut me la faire à l’instant !
– Mina, lui répondis-je, je ne puis vous faire sur-le-champ une promesse de ce genre. Je n’ai peut-être pas le droit de la faire.
– Mais, mon chéri, dit-elle avec une telle intensité d’âme que ses yeux furent comme des étoiles, c’est moi qui le souhaite, et non point pour moi-même. Demandez au Dr Van Helsing si je n’ai pas raison. S’il n’en convient pas, vous ferez à votre guise. Et, de plus, si vous êtes tous d’accord, plus tard, je vous rendrai votre parole.
– Je promets ! dis-je, et, pour un moment, elle parut parfaitement heureuse, quoique pour moi la balafre rouge sur son front rendît tout bonheur impossible.
Elle dit :
– Promettez-moi de ne rien me révéler de vos plans concernant la campagne contre le comte. Ni un mot, ni une allusion, ni un sous-entendu. Rien, aussi longtemps que ceci sera sur moi.
Et elle me désigna solennellement la balafre. Je compris la gravité de ses paroles, et je répétai tout aussi solennellement :
– Je vous le promets !
Et en prononçant ces mots, je sentis que depuis cette seconde une porte s’était refermée entre nous.
Même jour, minuit
Mina a été vive et gaie tout l’après-midi, si bien que nous tous en avons repris courage, comme gagnés par sa bonne humeur. Moi-même, il m’a semblé que la chape d’horreurs qui pèse sur nous s’allégeait quelque peu. Nous nous sommes retirés de bonne heure. Mina dort à présent comme un petit enfant. Comment ne pas s’étonner qu’au milieu de sa terrible angoisse, elle ait conservé sa faculté de sommeil ? Dieu en soit loué, car à ce moment du moins elle peut oublier son souci. Peut-être son exemple m’atteindra-t-il comme sa gaieté cet après-midi. Ah ! une nuit de sommeil sans rêves !